Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Le comble du snob
Dimanche 22 mai 2011

Quel est le comble du snob ?

C'est de scier la branche sur laquelle il est assis.

Même si nous sommes plus riches que jamais, la vie est trop dure, c'est bien connu. Face à la « terrible crise » qui nous frappe « de plein fouet » et dont nous souffrons tant, la seule solution raisonnable serait de s'unir pour résoudre sereinement les problèmes qui se présentent à nous.

Mais au lieu de cela, il est plus simple d'écraser son voisin pour essayer de surnager, de sortir un peu la tête du marécage. On ne se rend pas compte, en agissant ainsi, qu'on accroît encore la misère et la puanteur nauséabonde du marécage.

C'est ainsi, par exemple, que le supérieur hiérarchique, au boulot, peut aller jusqu'à détruire le travail de ses inférieurs, ou leur nuire sciemment, pour éviter que ceux-ci ne prennent sa place.

C'est ainsi que dans une société fondée sur le mérite factice du diplôme-à-papa plutôt que sur le mérite réel et si simple des actes et des résultats, tous ces dominants triés sur ce piètre volet ont tout intérêt à ce que la situation perdure, à ce que le système continue, sans quoi ils seraient rapidement éjectés (ou alors, ils devraient se mettre au boulot, ce qui ne vaut guère mieux).

C'est ainsi que le notable français, avec la digne gravité cravatée de l'oppresseur poli et sûr de son bon droit, et qui lèche chaque soir le bâton du pouvoir et du conformisme comme un chien docile (je parle des médias dominants), scie la branche sur laquelle il est assis.

Ne pouvant s'élever lui-même, il préfère rabaisser les autres pour continuer à les dominer. Qu'il ne s'étonne pas si demain il trônera sur une armée de carton qui s'effondrera sous ses pieds.

Mots-clés :  histoire   justice   domination   hiérarchie   France   
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Le monde à l'envers
Mercredi 13 avril 2011

La société moderne constitue en quelque sorte un renversement de la société traditionnelle. Elle est truffée de paradoxes antinaturels surprenants, parfois scandaleux.

Par exemple, dans la société moderne, les rémunérations et récompenses sont généralement en raison inverse de l'utilité et de la difficulté de la tâche, car elles vont de pair avec le pouvoir. Au plus on a de pouvoir, au plus on est riche, et au moins on travaille.

Dans les sociétés traditionnelles, où le système des récompenses symboliques n'a pas été remplacé par le système désincarné de l'argent, c'est à peu près l'inverse, comme le montre cet extrait de Shantaram, fabuleux roman et histoire vraie qui sortira bientôt au cinéma :

Je me suis joint à une équipe de jeunes hommes qui avaient reçu pour mission de nettoyer les caniveaux et les descentes d'eau. [...] C'était un sale boulot et j'étais content de le faire. [...] Et il y avait un certain prestige attaché à ce boulot : les tâches humbles et importantes étaient estimées dans le bidonville, autant qu'elles étaient méprisées dans la société au sens large. Toutes les équipes qui travaillaient à la défense des huttes contre la mousson étaient gratifiées de beaucoup d'amour.
Gregory David Roberts, Shantaram, chapitre 11, p. 212
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Croissance ou décroissance ?
Jeudi 24 février 2011

La croissance est mal mesurée, parce qu'une augmentation de PIB (croissance) ne signifie pas forcément une augmentation de bien-être. Par exemple une épidémie augmente le PIB en augmentant les ventes de vaccins, ou les puces électroniques orchestrant l'obsolescence programmée des imprimantes et autres appareils électronique augmente à la fois le PIB et le gaspillage (donc la pollution).

Pourtant, la décroissance n'est pas non plus souhaitable en soi, intrinsèquement. Ce qu'il faudrait éventuellement, c'est augmenter notre richesse réelle tout en diminuant notre pollution.

Mais surtout, la question de la croissance ou de la décroissance ne devrait même pas être posée politiquement. On pourrait soutenir que la décision de devenir plus riche, ou plus pauvre, est une question privée, individuelle, et que le pouvoir politique doit se limiter à assurer la justice économique, sans se soucier de la richesse.

Il est spécialement scandaleux et stupéfiant d'entendre dire que la croissance économique est un impératif politique ! Au contraire une politique bien faite doit être indépendante de la question de savoir s'il y a ou non croissance économique.

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Intéressante injustice
Dimanche 5 septembre 2010

Il est stupéfiant de constater la facilité avec laquelle nos intérêts déterminent nos idéaux. Quand on prend conscience de cela on se dit que la plupart des idées humaines de justice ne valent pas grand-chose !

De même, considérons ce petit fait singulièrement marquant : il est extrêmement rare de déborder de reconnaissance face à une personne qui nous critique et nous jette la vérité à la figure.

En toute logique nous devrions la remercier pour son honnêteté si rare. Car elle nous est utile : elle nous révèle ces vérités qui nous sont presque toujours complètement inaccessibles.

Mais voilà, on se sent attaqué, alors au lieu d'écouter sagement et attentivement les critiques, on se victimise, on se braque, on se défend. Instinct de conservation.

Il faut au moins espérer que plus tard, à tête reposée, on soit capable d'entendre ce qui nous a été dit. Car celui qui n'est pas capable d'aller un peu contre lui-même dans un cas où il est si clairement partial risque de n'être capable d'aucune justice.

Paradoxalement, en acceptant d'endurer cette souffrance momentanée de l'humiliation, du rabaissement de soi, on accède ensuite à une profonde satisfaction, celle d'être revenu à la vérité.

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La force est l'essence du droit
Mercredi 1er septembre 2010

La question des droits d'auteurs sera tranchée par le fait : s'il devient trop facile de pirater les œuvres, alors elles deviendront nécessairement gratuites ; si au contraire il est possible de créer des œuvres efficacement protégées, alors on parviendra à les faire payer, et on ne s'en privera pas.

Car le droit, contrairement à ce qu'on est parfois enclin à penser, est souvent un simple entérinement des pratiques.

Exemple : Il serait illusoire de penser que le principe de fonctionnement des bibliothèques, couplé à la modernité, entraîne automatiquement la gratuité universelle de toutes les œuvres. (Il suffit que les bibliothèques se dotent d'un portail en ligne...) En réalité, ce que montre l'histoire actuelle, c'est que les bibliothèques n'ont été autorisées que parce qu'il y avait des contraintes matérielles à la diffusion des œuvres.

pirate bay

Le droit est donc en quelque sorte la description, la régularisation du fait. Et le plus étonnant, c'est que cet état de choses est juste. Car il consiste à laisser les hommes faire ce qu'ils peuvent. Le piratage est irrépressible ? Ok, on l'autorise. Il est possible de verrouiller un bien pour le commercialiser ? D'accord, l'achèteront ceux qui voudront.

Mots-clés :  pirate   droit d'auteur   fait et droit   justice   droit   
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Ignobles bonus
Mercredi 25 août 2010

Au détour d'une discussion je découvre l'importance de cette idée :

Les choses ont une valeur objective, car il existe une justice. La conception que l'on a de cette justice, et même le fait qu'il puisse y avoir des conceptions divergentes, ne change rien à l'affaire.

Ainsi les rémunérations des grands dirigeants d'entreprise ne peuvent pas être arbitrairement ce qu'elles sont sans que l'on s'en soucie davantage. Etant donné ce que font ces hommes, et un certain nombre d'autres facteurs, leur travail a une valeur objective, à hauteur de laquelle il doit être rémunéré – mais ni plus, ni moins.

Si d'ailleurs le libéralisme (j'entends par là le marché concurrentiel) est souvent un si bon guide pour déterminer la valeur économique des choses, c'est parce qu'il assure l'absence de niches : il assure en fait que les prix sont au plus bas, au minimum vital pour ainsi dire, et donc que les profits aussi.

Ce n'est évidemment pas le cas aujourd'hui, parce que les dirigeants ne sont pas du tout soumis à un marché concurrentiel (notamment à cause l'asymétrie d'information dont parle Joseph Stiglitz). Ils détiennent au contraire le pouvoir de déterminer leur propre rémunération. Il est urgent de les soumettre à cette loi qu'ils défendent avec tant de vigueur pour les autres.

Les rémunérations excessives des dirigeants ne sont pas un cadeau tombé du ciel, contrairement à ce que laisse penser un autre préjugé tenace, le « fétichisme de la marchandise », qui nous fait croire que l'argent est quelque chose d'extérieur aux hommes, qui existe en soi.

argent

Mais non. L'argent n'est rien d'autre qu'une relation entre hommes. Avoir de l'argent, c'est avoir le pouvoir de commander aux autres hommes (les faire travailler pour soi). Ainsi les rémunérations excessives des dirigeants sont de l'argent directement volé aux consommateurs (qui paient les produits à des prix surévalués). C'est de l'argent pris aux pauvres et donné aux riches. Et, contrairement à un autre préjugé tenace (encore !) qui veut que « un riche, par ses dépenses, fait vivre des tas de pauvres », les pauvres font vivre bien plus de monde par leurs dépenses que les riches, en ce sens que cet argent, donné aux riches, est bien moins dépensé que s'il est donné aux pauvres.

Les inégalités économiques sont donc non seulement injustes, mais aussi nuisibles économiquement à cette fameuse croissance tant désirée. Enfin, elles sont aussi nuisibles socialement, par la légitime agitation populaire qu'elles font naître.

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Soyons justes, c'est efficace
Jeudi 12 août 2010

Ce qui est fascinant, c'est la capacité des Américains à justifier certaines causes par des arguments prosaïques, bassement matérialistes. Cela fait sans doute partie de ce qu'on appelle le « pragmatisme » américain.

Ainsi les partisans de la peine de mort avancent le coût qu'il y a à garder un prisonnier enfermé à vie. Les abolitionnistes utilisent d'ailleurs le même argument, car il se trouve que l'exécution d'un prisonnier coûte plus cher que de le garder emprisonné à vie.

Autre exemple, rencontré par hasard dans un livre du fameux Joseph Stiglitz :

Nous avons peut-être les moyens, à court terme, de remporter des succès dans la guerre physique contre le terrorisme. Mais à long terme le combat a un autre enjeu. Il s'agit de gagner les cœurs et les esprits dans la jeunesse du monde entier. S'ils se trouvent confrontés à un monde de désespoir, de chômage, de pauvreté, d'hypocrisie et d'injustice planétaires, de règles mondiales manifestement conçues pour avantager les pays industriels avancés – ou plutôt, soyons précis, des intérêts particuliers en leur sein – et désavantager ceux qui le sont déjà, les jeunes vont investir leur énergie non dans des activités constructives, dans l'édification d'un monde meilleur pour leurs enfants, mais dans des activités destructrices. Et nous en subirons tous les conséquences.
Joseph Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, 2003, chap. 12, p. 380

Pour le lecteur européen, ça fait bizarre de voir que la justice n'est pas défendue simplement pour elle-même ! On dirait que cet idéal n'existe plus, n'a pas de justification en lui-même (alors qu'il est l'essence de toute justification...).

C'est la prédiction de Jacques Ellul qui se réalise : désormais la technique (l'économie, la recherche de l'efficacité) juge la morale... La justice n'est poursuivie que si elle est efficace.

Je sais qu'il est toujours vain de ramer contre l'histoire, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a une profonde décadence dans ce point de vue... A moins que cela aussi ne fasse partie du nouveau monde « par-delà bien et mal ».

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La tribu, nouvel idéal régulateur
Mercredi 11 août 2010

En philosophie politique, on trouve de multiples fictions, comme le notait Yves-Charles Zarka dans Figures du pouvoir : l'état de nature pour les philosophes modernes (Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau) ; la fable des abeilles de Mandeville et la main invisible d'Adam Smith pour les économistes ; le voile d'ignorance pour John Rawls ; etc.

Sans complexe, après cette prestigieuse lignée je propose une nouvelle fiction : celle de la tribu, du village.

En effet, de nombreuses questions aujourd'hui sont rendues complexes et illisibles par la taille des société, qui déconnecte les hommes les uns des autres (c'est la fameuse déliquescence du lien social, ou la substitution d'une solidarité organique à la vieille solidarité mécanique, pour le dire dans les mots obscurs de Durkheim).

Prenons par exemple la question des droits d'auteur. Question philosophique complexe quand on raisonne abstraitement, dans la société moderne : comment rémunérer les chercheurs scientifiques, les artistes dont les œuvres sont piratées en ligne, les ingénieurs qui déposent des brevets, les laboratoires pharmaceutiques ?

Eh bien, imaginons une tribu. Cela permet de simplifier les choses et de les ramener à leur essence, à leur concept. Un homme invente un nouveau procédé qui permet de construire les maisons beaucoup plus vite. Pensez-vous qu'on lui versera des droits d'auteurs, autrement dit qu'une partie de la tribu se mettra à travailler gratuitement sous ses ordres ? ;;

Je ne pense pas. Je pense qu'il sera adulé, mais qu'il n'aura pas un kopek.

Léonard de Vinci
Génie regrettant de n'avoir pas un kopek

D'où on peut tirer le principe politique suivant : le génie sera glorifié, mais non rémunéré. Les seuls droits d'auteurs seront symboliques, car les œuvres du génie sont elles-mêmes symboliques, et ne sauraient être appropriées... Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. C'est aussi un point de vue marxiste : les œuvres du génie seront rémunérées au prix nécessaire pour nourrir le génie !

Mots-clés :  économie   justice   politique   droits d'auteur   valeur   
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Les vaches et les hommes
Dimanche 8 août 2010

« La vache européenne moyenne reçoit 2 dollars par jour en subventions, chiffre impressionnant puisque la moitié de la population mondiale n'a pas autant pour vivre. »

Joseph Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête (2003), chap. 9, p. 268

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Sécurité et xénophobie
Mardi 3 août 2010

J'ai une question idiote : :)

Si la droite juge qu'il y a trop de violence et de délinquance, pourquoi ne durcit-elle pas la loi contre tous les délinquants au lieu de la durcir seulement contre les étrangers et assimilés, via des procédures de double peine, du type retrait de la nationalité ? ;:

Cela ne serait peut-être pas beaucoup plus efficace (répondre à la violence par la violence n'est pas une méthode qui ait fait ses preuves, pour autant que je sache), mais ce serait certainement beaucoup moins nuisible (la stigmatisation de minorités a en revanche souvent eu des conséquences fâcheuses ou fascistes, pour autant que je sache).

La seule explication que je vois est : pour satisfaire une certaine frange de l'électorat, qui nourrit une haine irrationnelle et injustifiée pour les étrangers. (On peut haïr la violence, la délinquance, le vol et l'injustice ; mais il ne sera jamais rationnel d'exiger une peine plus sévère pour un homme sous prétexte qu'il appartient à telle ou telle minorité.)

Plus profondément, je me demande bien pour quelles raisons étranges il n'y a pas de droite qui soit sécuritaire sans être raciste. Cette interrogation rejoint une autre, plus mystérieuse encore : pourquoi n'y a-t-il pas (en France du moins) de gauche qui soit à la fois socialement progressiste et économiquement libérale ? Sans doute la simplification de l'échiquier politique en un clivage gauche-droite ne laisse-t-elle pas la place à de si grandes subtilités.

Mots-clés :  France   racisme   sécurité   politique   justice   
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Il n'y a pas de redistribution
Mercredi 7 juillet 2010

Allez, une fois n'est pas coutume, voici un post vraiment utile.

Il s'agit de dénoncer un scandale absolu :

Il n'y a pas de redistribution
aujourd'hui en France.

En voici la preuve :

Finalement :

En 1994, pour un couple sans enfants, les taux d’imposition de ceux qui touchent une fois le Smic sont quasiment les mêmes que ceux qui touchent… dix fois plus ! Les premiers consacrent environ 25 % de leurs revenus aux divers impôts, tandis que les derniers reversent « seulement » un peu plus de 30 % des leurs. Les différences sont donc très inférieures à ce qui est souvent énoncé.
François Bourguignon et Dominique Bureau,
cités par Stéphanie Laguérodie et Gilles Raveaud,
Petit bréviaire des idées reçues en économie, chap. 14, p. 145-146.

Pronostic : l'économie ne tiendra pas ainsi, surtout quand on connaît l'explosion des inégalités (donc la nécessité redoublée de les atténuer par une répartition plus juste). Il va falloir redistribuer ou exploser. :((

Mots-clés :  redistribution   économie   justice   
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De la nécessité de séparer les problèmes
Mercredi 30 juin 2010

Je reviens sur un point source de très nombreux débats.

Quand on avance des solutions écologiques comme la taxe carbone, on entend souvent cet argument : « c'est injuste, car si on fait payer la pollution aux pollueurs, les riches pourront continuer à polluer, mais pas les pauvres ». Il y a des variantes multiples, mais l'idée est toujours la même.

Mais il faut séparer les problèmes si on veut les traiter adéquatement et justement.

Les deux aspects doivent être traités séparément. Il est vrai que la prise en compte de la pollution nous appauvrira inéluctablement collectivement (encore qu'en termes réels, s'obliger à polluer moins constitue un enrichissement), mais cela ne doit pas nous amener à la confusion des mécanismes, car une telle confusion est pleine d'effets pervers :

On retrouve se problème quand des mesures s'empilent, par exemple une aide sociale (chômage ou RMI), plus une aide au logement, plus des transports gratuits, etc. Si on aide une première fois les pauvres, pourquoi les aider ensuite encore sur chaque consommation ? Si l'aide initialement donnée est insuffisante, il faudrait plutôt l'augmenter directement, cela pousserait à davantage de rationalité et d'économie (car une aide en nature pousse à la consommation).

Notez que je pourrais prendre un exemple, plus original, de l'autre côté, avec les multiples niches fiscales concernant les riches, qui s'ajoutent également les unes aux autres. Si on fait payer les riches, avec limpôt sur le revenu, pourquoi annuler ensuite cette nécessaire redistribution par de multiples cadeaux fiscaux ? Sans parler des multiples avantages dont bénéficient les riches, notamment à travers leur entreprise. Mais en France on adore les privilèges, que ce soit pour les riches ou pour les pauvres.

Cet argument de la séparation des problèmes s'applique à d'autres cas que l'écologie. En particulier on peut aussi l'appliquer à l'efficacité en général (et pas seulement écologique).

Ainsi, plutôt que d'entraver le marché du travail par d'absurdes contraintes (comme l'interdiction du licenciement) qui protège un travailleur (peu efficace) contre un sans-emploi (potentiellement plus efficace), il vaudrait mieux procéder ainsi :

Ici encore les effets pervers sont innombrables quand on se laisse aller à la confusion, à l'inadéquation et au gaspillage. Je me contenterai de citer Zoé Shepard, que je félicite ici pour son courage, tout en soulignant comme d'autres que le problème qu'elle soulève se retrouve ailleurs...

Bref : au lieu de protéger les travailleurs contre les sans-emploi, on ferait mieux de protéger les sans-emploi.

Conclusion : je remarque donc une grande proximité entre le problème écologique et le problème plus général, mais lié, de l'efficacité économique. Il faut traiter ces problèmes séparément du problème social, et traiter le problème social en une seule fois pour davantage de simplicité, de transparence et de justice.

(Les autres problèmes aussi doivent être, dans la mesure du possible, traités en une seule fois : c'est l'intérêt de la taxe carbone, avec une seule mesure qui se répercute automatiquement partout.)

Mots-clés :  politique   économie   écologie   justice   vérité   adéquation   transparence   
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Beauté de la justice
Dimanche 20 juin 2010

Il existe un argument purement philosophique permettant de tester la justice d'une loi.

C'est que la justice est nécessairement belle, harmonieuse.

Donc les lois humaines doivent avoir la même forme que les lois naturelles. Mathématiquement, celles-ci sont souvent données par des fonctions « naturelles  », fondamentales (comme la fonction exponentielle) dont l'allure est douce et élégante, sans accroc.

Bon, ceci est une considération d'esthète. On pourra s'estimer heureux si la courbe humaine approche d'une courbe naturelle, comme la courbe ci-dessous, qui indique le montant de l'impôt sur le revenu pour une personne seule, en France, en 2006 (montants en milliers d'euros) :

courbe de l'impôt sur le revenu en France en 2006

Cela dit, l'expression de la fonction naturelle en jeu ici serait peut-être tout aussi simple à comprendre pour le quidam que l'affreux système de paliers qui sous-tend la construction de cette courbe cassée... et ne négligeons jamais la vertu de la simplicité !

La justice est une question mathématique... L'équation de la justice existe, à nous de la trouver.

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Pour un libéralisme écologique
Samedi 19 juin 2010

Le problème est simple : des pollutions, des activités nuisibles existent.

(Consommation de pétrole qui émet du CO2 dans l'atmosphère ; surexploitation des océans ; électricité nucléaire et déchets quasi éternels ; tabac causant des cancers ; aliments excessivement gras causant de l'obésité ; etc.)

La première solution venant à l'esprit serait d'interdire les activités nuisibles. On ne pêche plus de poisson (ou on applique des quotas), on ne brûle plus de pétrole, on ne fume plus, etc.

Mais cette solution est difficile à appliquer. Parce qu'il y a de l'inertie. Parce que les hommes ne veulent pas. C'est donc politiquement difficile. Et de toute façon, une interdiction brutale du jour au lendemain manquerait de souplesse.

Mais il existe une autre solution, très simple également : faire payer les nuisibles à hauteur de leur nuisance pirate. C'est le principe du pollueur-payeur. Que chacun balaie devant sa porte, que chacun nettoie sa merde, ou du moins paie pour elle.

Il s'agit donc de taxer, à la source, toutes les activités polluantes à proportion de leur pollution. Ce qui signifie, dans un grand nombre de cas, de taxer les quantités de matières nocives consommées, qu'il s'agisse de ressources naturelles abusivement exploitées (pétrole, poisson) ou non (alccol, tabac, graisse).

Les avantages de cette méthode sur l'autre sont multiples :

On pourrait appeler ce système le libéralisme écologique, ou plus exactement le libéralisme encadré, car il consiste à combiner l'efficacité du marché (avec, notamment, les prix comme meilleur indicateur possible de l'information) avec l'application d'un encadrement fiscal soigneusement défini par l'Etat, donc par la volonté politique.

C'est le libre jeu du marché, mais avec des règles soigneusement définies par l'Etat.

Taxer plutôt qu'interdire

Bref : Mieux vaut taxer qu'interdire.

Mots-clés :  écologie   économie   politique   liberté   justice   
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La banane et le couteau
Lundi 14 juin 2010

Quand j'étais enfant, et qu'il y avait un fruit ou un gâteau à partager avec mes frères et sœurs, nous avions une règle magique, salomonienne, qui apaisait miraculeusement les conflits magicien :

« Qui coupe ne choisit pas. »

Ainsi, il n'y avait aucune dispute, pas même pour savoir qui couperait. Car avoir le privilège de couper, c'était renoncer à celui de choisir. Mieux, l'intérêt du coupeur était de faire des parts aussi égales que possibles, car il savait bien que l'autre prendrait la plus grosse. Enfin, celui qui coupait ne pouvait contester que l'autre prenne ensuite la part de son choix : il était censé avoir coupé des parts égales, et ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même en cas d'inégalité.

Au plus je médite cette simple petite loi, au plus je la trouve merveilleuse.

On retrouve son noble équivalent, en philosophie, dans le « voile d'ignorance » imaginé par John Rawls, philosophe américain ayant élaboré une importante théorie de la justice en 1970, et qui imagine (à titre de fiction censée guider la réflexion, Gedanken experiment) quelles règles de justice nous choisirions si nous ignorions les places que nous occuperons ensuite dans la société...

La banane et le couteau

Plus généralement, on peut tirer de cet exemple de la banane (c'était typiquement des bananes que nous partagions ainsi) l'idée suivante : partout où on peut instaurer des dispositifs de justice, c'est-à-dire des mécanismes, des fonctionnements, des agencements qui poussent les individus à chercher automatiquement la situation la plus juste, il faut le faire, et cela peut remplacer avantageusement les règles générales et abstraites du droit, toujours délicates à appliquer en situation, et dont la complexité est source de mille problèmes (cf. cet éloge de la simplicité sur un autre post).

Si ces dispositifs pouvaient remplacer tout à fait le jargon juridique, peut-être la société ne s'en porterait-elle pas plus mal...

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Critique de l'assistanat
Samedi 5 juin 2010

On s'habitue de plus en plus, en France et ailleurs (mais en France plus qu'ailleurs), à être perpétuellement assisté. Qu'une catastrophe naturelle se déclenche, et tous les regards se tournent vers l'Etat. Idem en cas de licenciement, de difficulté économique, etc.

Il est urgent d'en sortir.

L'assistanat est en effet nuisible à tous points de vue :

Cela dit le point le plus négatif est peut-être cette idée, fausse et déprimante, mais aussi auto-réalisatrice, selon laquelle nous ne sommes pas responsables de nous-mêmes, de notre vie et de notre bonheur.

Tout ceci ne signifie évidemment pas qu'il faut supprimer toute forme d'assistance. En revanche il serait bon de se souvenir que c'est une exception qui ne saurait devenir la norme. Dans un monde sain l'assistance n'est pas nécessaire ! Le véritable objectif politique est donc de faire disparaître l'assistance en la rendant inutile. Et, pour combattre un problème, l'assistance devrait être le dernier recours, le médiocre expédient provisoire en attendant la vraie solution.

Cela me fait penser à un effet pervers que j'oubliais, mais qui est pourtant essentiel : l'assistance nous fait oublier de résoudre le vrai problème de fond qui l'a rendue nécessaire. A ce titre elle fonctionne comme l'art ou la drogue.

Feuille de cannabis

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Eloge de la simplicité
Vendredi 4 juin 2010

Dans le cadre de la réforme des retraites, il est aujourd'hui question de prendre en compte la pénibilité de chaque métier. L'idée est d'emblée fumeuse à cause de l'indétermination scientifique du concept : comment mesurer la pénibilité ? En l'occurrence il est question d'avoir recours à un examen médical afin de déterminer les droits de chaque personne.

L'intention est louable : les différences d'espérance de vie selon les métiers exercés ont en soi quelque chose de scandaleux, et si c'est l'espérance de vie qui détermine l'âge de la retraite, il serait logique que celui-ci soit proportionnel à celle-là.

D'un autre côté, ces mécanismes visant à rétablir une certaine justice sont nécessairement complexes et lourds à appliquer, surtout dans la société de demain où on n'exercera plus guère un même métier tout au long de sa vie. On voit venir de multiples calculs et systèmes d'ajustements, avec leurs approximations et injustices inhérentes... Il en découlera calculs d'épiciers, tentatives de fraudes, et frustrations multiples... avec finalement un sentiment d'injustice général.

C'est pourquoi on pourrait aussi proposer, comme solution au problème des retraites, la grande simplification suivante : un seul minimum retraite universel, identique pour tous, et, comme son nom l'indique, minimum. Chacun est ensuite libre de se constituer un complément en épargnant tout au long de sa vie.

D'ailleurs, en fusionnant ce minimum avec le RSA, on pourrait créer une sorte de revenu universel pour personnes sans activité, ce qui aurait pour avantage de supprimer la question de l'âge du départ à la retraite : chacun pourrait la prendre dès qu'il le voudrait, si son épargne lui semble suffisante pour satisfaire ses besoins.

On pourrait aussi durcir ce principe en faisant de ce revenu universel quelque chose de facultatif, qui ne serait versé qu'exceptionnellement, aux personnes dans le besoin. On sortirait ainsi de la société d'assistance dans laquelle on s'enfonce un peu plus chaque jour.

Bref, selon la direction dans laquelle on l'étire, ce principe pourra paraître de gauche, ou de droite. L'élément qui ne change pas est la simplicité. On ne saurait sous-estimer la valeur de la simplicité en politique :

Je crois que la France a d'ailleurs particulièrement besoin d'une grande cure de simplicité. Proposition de loi : pour chaque nouvelle loi votée on doit en supprimer une ancienne (si besoin en la fusionnant avec la nouvelle loi). L'idéal étant de ne pas voter de loi et de se contenter de la pratique, du bon sens, et surtout d'instaurer des mécanismes de justice...

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A-t-on le droit de manger des bananes ?
Vendredi 28 mai 2010

Je pose la question sans plaisanter :

A-t-on le droit de manger des bananes ? ?

A première vue, non. Cela est moralement interdit, du moins dans les pays Occidentaux. Car comme tout produit lointain, cela consomme du pétrole. Or, les circonstances étant ce qu'elles sont, nous n'avons pas le droit de brûler le moindre litre de pétrole, surtout quand nous pourrions nous en passer (en mangeant des pommes, dans ce cas).

Le problème, c'est que cet argument sera très difficile à faire avaler à ceux qui aiment les bananes et en consomment régulièrement. On veut bien sauver la planète, mais faut pas déconner non plus. vwhiou !

Il sera peut-être plus facile d'admettre qu'il est moralement interdit de partir en vacances aux Bahamas... Mais là encore, allez convaincre celui qui a justement envie d'y aller ce week-end !

Mais au fait, comment savoir ce qui est pire – manger des bananes ou aller aux Bahamas en avion ?

Je pense que cette question est à peu près insoluble. Ou plus exactement : ces deux actes nuisent exactement à proportion de la quantité de pollution émise, donc de la quantité de pétrole consommée. J'y vois un argument de plus pour la taxe carbone. Contrairement aux autres systèmes de régulation comme les quotas, cette simple taxe permet d'agir au plus juste, de faire en sorte que les prix reflètent les coûts réels (y compris le coût environnemental, diffus et difficile à mesurer), afin d'appliquer le principe simple qui résume la solution du problème écologique : pollueur-payeur.

Il y a quelque chose de l'idée de Hayek (grand économiste libéral) dans cet argument : on ne peut déterminer dogmatiquement le bien et le mal. Il faut laisser les hommes libres (de manger des bananes ou d'aller aux Bahamas. Mais qu'ils paient pour la pollution engendrée par leur action. Ainsi tout le monde sera content.

D'un autre côté, il y a aussi dans ce « libéralisme écologique » un principe peu libéral : l'idée que les marchés ne prennent pas en compte d'eux-mêmes les coûts globaux et diffus, notamment écologiques. Il y a d'ailleurs là une analogie avec le risque systémique en finance, et un développement philosophique à établir dans le rapport entre le tout et la partie. Le libéralisme trouve ses limites dans les conditions qui s'appliquent au tout, au marché dans son ensemble. Celles-ci doivent être définies extérieurement, par l'Etat. Les parties du jeu sont définies par un tout qui ne fait pas partie du jeu. La théorie libérale admet d'ailleurs parfaitement et évidemment ce principe : le libéralisme est fondé sur l'Etat et la loi. La liberté est fondée sur la force.

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Critique de l'économie classique
Dimanche 17 janvier 2010

Il y a dans l'économie classique une idée qui passe pour une victoire sur l'ancien monde et la condamnation aristotélicienne de l'échange économique. C'est l'idée que l'échange avantage les deux parties.

Cette théorie repose sur une conception subjective de la valeur. Les chaussures n'ont pas beaucoup de valeur pour le cordonnier (parce qu'il sait en faire et il en a beaucoup), par contre le blé a une plus grande valeur. Et c'est exactement l'inverse pour le paysan. Donc ils échangent et chacun y gagne. Bon.

On ajoute parfois ceci pour enfoncer le clou : si chacun n'avait pas intérêt à échanger, l'échange ne se ferait pas, car l'échange est libre.

Certes. Mais dans quelle mesure l'échange est-il libre ? Prenons un exemple extrême : l'esclavage. Travailler gratuitement pour son maître, et en échange il ne nous tue pas et nous nourrit. Avantage réciproque. Car l'esclave est libre de refuser et de se faire assassiner.

Ceci révèle le trucage : certes, les conditions étant données, tout échange intéresse chaque partie. Mais cela ne nous dit rien sur les conditions sociales qui encadrent l'échange. Et tout est là.

Bref, la théorie de l'avantage réciproque est creuse, et elle n'est surtout pas une théorie de la justice économique. Pour qu'un échange soit juste il ne suffit pas qu'il existe, car sinon tous les rackets pirate du monde seraient merveilleusement justes.

Mots-clés :  justice   échange   économie   
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Donner son ticket de métro
Mercredi 25 mars 2009

L'autre jour, à Lyon, en bouquinant à la Fnac, je suis tombé sur un petit livre d'éthique. J'ai oublié le nom de l'auteur, mais je me souviens de la conclusion : en gros, l'idée est que la justice consiste à réaliser l'équivalence de toutes les souffrances.

On reconnaît là une certaine logique, chrétienne et kantienne, poussée jusqu'à son terme.

Et en réalité si je me suis souvenu de cette idée, c'est à titre de repoussoir : elle révèle, à mon avis, la profonde erreur de cette morale. Voici deux exemples pour expliquer pourquoi.

Toujours à Lyon, en sortant du métro j'ai déposé mon ticket sur la borne : je n'allais pas reprendre le métro dans l'heure, mon ticket, au lieu d'être gaspillé, pourrait ainsi servir à quelqu'un dans le besoin. J'ai appris qu'aux sorties de métro de la Croix-Rousse, il y avait ainsi des piles de tickets aux entrées ; et qu'ailleurs, au contraire, les gens refusaient de vous donner un ticket si vous leur demandez. Comment un tel refus est-il possible ? Cela ne lui coûte rien, au type. Mais il se dit probablement : « J'en ai bavé pour payer ce ticket, l'autre ne l'aura pas pour rien. Ce serait injuste. Il n'y aurait pas équivalence des souffrances. »

Puis j'ai pris le train. On était assez serrés, mais à côté il y avait un type qui par chance avait deux places pour lui, et il s'affalait insolemment, étalant sa paresse sur deux sièges. Encore une fois, du point de vue kantien il aurait dû se tenir sur un seul siège, par respect pour nous en quelque sorte. Souffrir autant que nous.

Je ne sais pas s'il est utile, après ces exemples, d'expliquer encore ce que l'éthique de l'équivalence des souffrances a de ridicule. Mais si, c'est nécessaire. Car on est toujours choqué, blessé par ceux qui ne souffrent pas autant que nous : par exemple l'élève qui obtient insolemment (encore !) 14/20 sans avoir fait le moindre effort. Eh bien, disons-le haut et fort : il faut se réjouir pour tous ces passagers clandestins du bonheur, pour ces cadeaux qui tombent du ciel. Finalement, il y a un certain esprit de justice qui se distingue difficilement de la jalousie pure et simple.

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Nécessaire injustice
Dimanche 15 février 2009

Je n'ai pas une très grande expérience de la vie, mais j'ai bossé dans des restaurants, comme serveur. Et dans ce monde, comme ailleurs, au plus on progresse dans la hiérarchie, au mieux on est payé et au moins on en fait. Au début on est bussboy (j'étais aux Etats-Unis) : on assiste un serveur en servant les boissons, et en faisant mille petites choses insignifiantes et ennuyeuses mais indispensables.

Puis on devient serveur. Là, on est responsable de ses tables, de la commande, etc. On en fait moins, on est mieux payé. Mais on a plus de « responsabilités » (ce fameux concept, qui m'a d'abord intrigué, et qui maintenant me fait rigoler, par lequel on justifie cet état de choses).

Puis on devient manager. Là, on ne fait quasiment plus rien. On briefe les serveurs, on accueille les clients, on surveille le tout. On passe son temps à papillonner, discutant de ci de là avec les clients. On n'intervient qu'en cas de problème. Et c'est là qu'on est le mieux payé.

Cela semble injuste – et peut-être l'est-ce vraiment. Mais ce que j'ai fini par comprendre, c'est pourquoi il doit en aller ainsi.

Le truc, c'est que pour être manager il faut être capable d'être serveur. Tout manager peut être serveur. Par conséquent, ce poste doit nécessairement être mieux payé, sinon personne ne le prendrait. De manière générale : les postes occupés par ceux qui pourraient occuper d'autres postes doivent nécessairement être mieux rémunérés que ces autres postes.

Ce n'est pas une nécessité morale, c'est une nécessité logique. Je ne veux surtout pas dire que ce système est juste. Au contraire, il me semble profondément injuste. Mais il est naturel. Ce n'est pas demain la veille que cet état de fait changera.

On ne prête qu'aux riches (et ceci vaut pour l'argent aussi bien que pour le reste), on leur donne même avec joie, et les types qui creusent tout le jour dans les entrailles du monde crèveront sans un sou.

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Le chômage, une anomalie
Lundi 9 février 2009

Le chômage est une anomalie : un chômeur, c'est un type qui veut travailler : pour gagner de l'argent, pour acheter des biens de consommation. Or dès l'instant où quelqu'un veut travailler, un emploi est automatiquement créé, car la demande (de biens de consommation) crée automatiquement une offre de travail, c'est-à-dire un emploi.

Pour le voir encore plus clairement, imaginons une économie sans division du travail. Alors toute demande de biens crée automatiquement un emploi : si je veux une chose je me la fabrique moi-même.

Le chômage est donc une pure anomalie, un paradoxe, une absurdité. Il reste à savoir d'où vient le bug. ;;)

A l'évidence, le problème est que la demande potentielle (de marchandises) ne débouche pas sur une demande réelle (de travailleurs pour produire ces marchandises). Le chômage vient donc certainement de l'excessive pauvreté des pauvres. (NB : aux Etats-Unis, pour maintenir la consommation malgré cette pauvreté les travailleurs ont eu massivement recours à l'endettement, ce qui a d'ailleurs été à l'origine de la crise actuelle.)

La solution au problème du chômage est donc la redistribution. Car la redistribution augmente la propension moyenne à consommer de la population, comme l'a vu Keynes il y a bien longtemps déjà. Pour le comprendre simplement : 100 € pris à un riche et donnés à un pauvre seront presque entièrement dépensés au lieu d'être presque entièrement épargnés (car au plus on est riche au plus on épargne une fraction importante de son revenu).

Pour supprimer le chômage il faut donc redistribuer, c'est-à-dire :

La seule question est de savoir comment parvenir à ce but dans les meilleures conditions (sans restreindre la liberté individuelle, sans induire d'effets pervers, sans introduire d'injustices, en tenant compte des contraintes liées à la concurrence internationale, etc.).

Mots-clés :  chômage   redistribution   justice   économie   
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On est pas des larbins
Mardi 27 janvier 2009
Alors là, c'est la palme d'or. Le mur du çon franchi à 200 km/h, comme dirait l'autre. Et à hauteur de chaise.
Voici donc la superbe phrase entendue aujourd'hui, en salle de cours :

« On est pas des larbins. »

Phrase prononcée par un élève qui s'offusque de devoir mettre sa chaise sur sa table. Elève qui profite gratuitement, depuis son enfance, d'une école dont le coût important pèse sur l'ensemble de la société. Et qui, quand on lui demande de nettoyer sa propre crotte, vous dit qu'il n'est pas un larbin, avec une poignante indignation dans la voix.
Pauvres petits enfants-rois ! Comme ils ont raison. Qu'une femme de ménage, dûment payée, vienne, qu'elle nettoie les emballages, mouchoirs, cannettes et autres détritus que les chers petits ont négligemment laissé traîner par terre (qui a dit : « les porcs ! » ?). Et qu'en plus de cela elle se tape 30 chaises à mettre sur les tables auparavant. Ah mais ! Elèves de tous les lycées, unissez-vous ! Ne vous laissez pas faire ! Ne vous laissez pas opprimer par les femmes de ménages ! Défendez vos droits ! Vous n'êtes pas des larbins !

Je le dis en riant, mais ça me donne envie de gerber.
Mots-clés :  droits et devoirs   éthique   justice   
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La justice du loto
Samedi 17 janvier 2009

A une époque, quand je travaillais à New York, j'avais coutume d'aller prendre ma pause de midi dans un petit parc triangulaire et très mignon quoique coincé entre deux grandes avenues (Broadway et la 6e Avenue).

Un jour, j'y ai rencontré un vieil américain d'origine coréenne. Probablement retraité, il s'assit à ma table pour profiter d'un rayon de soleil. Il me raconta qu'il avait tenu une petite bicoque dans la rue voisine. Pendant la majeure partie de sa vie, il avait travaillé là, difficilement et péniblement, luttant contre la concurrence, endetté jusqu'au cou, mais dans l'espoir, un jour, de posséder enfin sa boutique et de quitter cet esclavage. Hélas, pour diverses raisons ce beau rêve ne s'était pas produit, et aujourd'hui il vivait péniblement – sinon misérablement – dans la banlieue du Queens. Et finalement il me dit qu'il aurait mieux fait de rester tranquillement chez lui, en Corée, plutôt que de se donner tout ce tracas.

Et il conclut par cette phrase, prononcée avec un fort accent coréen qu'il avait gardé tout ce temps : "They tell you you will have it, but no! You never get it! You work, you work, but you never get nowhere."

Je compris que tout ceci s'adressait à moi, jeune travailleur plein d'illusions.

J'en ai retenu un beau résumé du libéralisme et du rêve américain : les privilèges d'une minorité miroitent aux yeux du grand nombre, qui se met à courir. Le libéralisme est une loterie : les inégalités sont criantes, mais tous les acceptent, y compris les plus pauvres (et peut-être surtout eux) dans l'espoir qu'ils atteindront le sommet, dans l'idée, à peu près complètement fausse, que ce sommet est accessible à tous.

Telles sont les deux manières de concevoir une société juste : ou bien les places sont équitables, et la place du maçon vaut celle du PDG. Ou bien les injustices sont criantes et avouées, mais les positions sociales sont (en théorie du moins) ouvertes à tous.

Cette seconde conception de la justice est particulièrement amusante. Les privilèges les plus exorbitants justifiés et légitimés par l'existence d'un concours d'entrée équitable et ouvert à tous. Du point de vue de l'individu, cela semble acceptable, car chacun pense avoir sa chance. Ce n'est que du point de vue collectif que l'échec du plus grand nombre apparaît comme une nécessité logique absolue.

La justice est-elle si ennuyeuse, pour que nous lui préférions ce jeu cruel ?

Mots-clés :  justice   économie   
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