« C'est quand on n'a plus rien à dire que la conversation commence à devenir intéressante »
a dit un homme (bourré).
A la difficile question de savoir quelle attitude adopter face aux cons, je tiens à apporter aujourd'hui ma modeste contribution.
Comme déjà mentionné dans un autre post, le pire face au méchant serait de réagir par la méchanceté.
Du coup, le plus simple est encore de le planter là en lui laissant sa méchanceté dans sa bouche, qu'il y goûte, qu'il s'étouffe à son propre venin.
Car ainsi il percevra peut-être le caractère nuisible de son attitude, et ce slogan pour enfant, « c'est celui qui le dit qui l'est ! », qui peut sembler stupide à première vue, contient en fait une pensée profonde. Oui, nos insultes, en un sens particulier, s'appliquent à nous-mêmes. C'est d'ailleurs aussi ce que dit Svami Prajnanpad avec la douce austérité des maîtres indiens :
C'est encore, dans un autre style, ce que dit Cyrano de Bergerac lui-même, avec humour et avec classe :
L'un des objectifs de l'éthique de Heidegger l'obscur est de « laisser être ».
Etrange formule. Laisser être ne semble pas difficile. Il suffit de ne rien faire !
Et pourtant. Laisser être est une vertu aussi rare que précieuse.
Un seul exemple : le couple. Rien n'est plus difficile, apparemment, que d'aimer une personne tout en la laissant être ce qu'elle est, sans la faire entrer dans le gentil petit rôle qu'on avait prévu pour elle. Et pourtant, cette vertu est absolument nécessaire.
Conclusion : ne rien faire, s'en foutre, s'abstenir, est bien difficile, et le libéralisme existentiel est aussi difficile à pratiquer que le libéralisme économique !
Encore une petite méditation vestimentaire : l'autre jour, je cherchais une cravate dans un grand magasin chic. Pourquoi chic ? Mais pour avoir la classe, mon cher. Donc je m'apprêtais à payer bien trop cher pour un bout de tissu, en tout cas si on rapport le prix à l'utilité (en l'occurrence, aucune, sinon symbolique).
Une petite introspection me révéla le fait suivant, qui s'applique à bon nombre d'entre nous je crois : si on achète une belle cravate, et de beaux vêtements en général, c'est avant tout pour que les gens ne nous fassent pas chier. Si tu as une cravate un peu vieille ou sale ou trop différente, tu peux être sûr qu'on va te servir une remarque à la con. Cette remarque ne sera au fond pas très gênante ni douloureuse. Mais c'est bien pour l'éviter qu'on traîne dans les rayons et qu'on dépense parfois des petites fortunes. Pour avoir la paix, bon sang, la paix.
Je rêve parfois d'un monde où les gens ne feraient pas chier... mais c'est une utopie.
Puisque je suis dans les posts insignifiants, autant continuer gaiement. Donc, voici un paradoxe étonnant : quand on croise quelqu'un, dans une rue ou un couloir, qui a un même vêtement que nous (la même écharpe, par exemple, ou la même chemise), on sent un méchant petit sentiment de gêne (et aussi, peut-être, pour les plus subtils d'entre nous, ce petit frisson mystique ou superstitieux ou comique lié à la répétition, toujours marquante pour l'esprit humain). Ce sentiment se comprend aisément, on ne veut pas être habillé comme l'autre, puisque justement on s'habille pour se distinguer. Et même si on s'habille pour être comme tout le monde, on ne veut quand même pas être exactement identique. On a un soi, quand même, que diable.
Ce petit fait devient drôle quand on prend un peu de recul. Il est comique de constater que nous sommes tous (en tout cas, la plupart d'entre nous) extrêmement conformistes et donc rigoureusement identiques dans notre style ; mais qu'une écharpe soit vraiment la même et nous voilà vexés ou gênés. Nous sommes choqués par le détail, par la petite chose, mais non par la grande, bien plus humiliante pour notre originalité, indépendance d'esprit, goût, etc.
Face aux cons, on craint pour son corps mais on ferait mieux de craindre pour son âme : rendre un coup bas est pire que de le recevoir. C'est véritablement pour cela que les cons sont dangereux. La connerie est contagieuse comme la guerre.
Une dernière remarque sur Dogville, le film de Lars von Trier : bien souvent (presque toujours, en fait) quand deux personnages parlent au premier plan il y a d'autres personnages au loin, à l'arrière-plan. De cette manière Lars von Trier a exprimé visuellement l'idée philosophique que « les autres » sont toujours là, même quand nous sommes seuls, et que leur présence sous-tend chacune de nos paroles.
- Daniel