Amusant paradoxe et retournement : pendant longtemps on a spontanément placé le sacré dans la forme, par opposition à la matière, la divinité étant l'esprit qui vient s'incarner dans la matière, censée être stupide quand elle est informe.
Or ce qu'on découvre aujourd'hui, avec les moyens de reproductibilité technique, qu'on a d'abord vu au niveau industriel mais qui se décuplent aujourd'hui dans la sphère virtuelle (avec les ordinateurs et internet il est aujourd'hui infiniment plus facile de reproduire un texte ou un morceau de musique qu'un urinoir ou une chaussure), c'est la valeur de la matière. Car c'est elle, du coup, qui devient sacrée, comme l'illustre cette curieuse aura, dont parle Walter Benjamin, qui est la valeur symbolique et imaginaire que nous attachons aux objets « authentiques », aux originaux, par opposition aux copies.
Oui, c'est peut-être ça que nous allons découvrir, avec l'invention d'un univers virtuel : la valeur, la richesse, la magie, la chaleur, l'intelligence, la divinité de l'irremplaçable et fragile matière.
Pendant les vacances j'ai un peu traîné dans les musées. Il y a des grands couloirs blancs et une ambiance propre, éthérée. Les gens sont silencieux, respectueux. Bref, on se croirait dans une église.
D'ailleurs les artistes, les « génies » sont nos dieux, ou en tout cas nos demi-dieux, et les icônes qu'ils créent font signe vers le dernier au-delà, la dernière transcendance. Contre Benjamin, il faut reconnaître que l'aura n'a pas disparu. Le sacré persiste dans nos sociétés sécularisées ; et il s'est retiré dans les musées.
Les musées sont donc les nouvelles églises. Et d'ailleurs, réciproquement les églises ressemblent de plus en plus à des musées, on y voit désormais plus de touristes que de fidèles, et les icônes des églises pointent plutôt vers le dieu des artistes que vers le Vieux Barbu.
Avec tout ça, on comprend le désir situationniste de quitter le musée en vitesse !