Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Vive la page blanche !
Mardi 24 août 2010

On a beaucoup critique la page blanche, si angoissante, et qui transmet sa couleur aux nuits, etc.

Mais à l'heure de l'ordinateur, on redécouvre soudain les avantages de la page blanche. Car, contrairement à l'écran, d'où on s'attend toujours à voir jaillir magiquement des choses, la page blanche ne ment pas : elle est là, nue, blanche, inerte, matérielle, résolument et explicitement muette, sans plis ni profondeur ni tréfonds. Aussi elle est finalement comme un miroir. Elle nous renvoie à nous-mêmes, et face à une page blanche, il est clair que tout ne peut venir que de nous-mêmes – et c'est là la vérité fondamentale, en toutes choses.

Ainsi la page blanche est plus austère, mais elle stimule bien mieux la créativité que l'écran d'ordinateur où l'esprit se dissout, fasciné et hypnotisé par la joyeuse agitation du monde virtuel.

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Soyons justes, c'est efficace
Jeudi 12 août 2010

Ce qui est fascinant, c'est la capacité des Américains à justifier certaines causes par des arguments prosaïques, bassement matérialistes. Cela fait sans doute partie de ce qu'on appelle le « pragmatisme » américain.

Ainsi les partisans de la peine de mort avancent le coût qu'il y a à garder un prisonnier enfermé à vie. Les abolitionnistes utilisent d'ailleurs le même argument, car il se trouve que l'exécution d'un prisonnier coûte plus cher que de le garder emprisonné à vie.

Autre exemple, rencontré par hasard dans un livre du fameux Joseph Stiglitz :

Nous avons peut-être les moyens, à court terme, de remporter des succès dans la guerre physique contre le terrorisme. Mais à long terme le combat a un autre enjeu. Il s'agit de gagner les cœurs et les esprits dans la jeunesse du monde entier. S'ils se trouvent confrontés à un monde de désespoir, de chômage, de pauvreté, d'hypocrisie et d'injustice planétaires, de règles mondiales manifestement conçues pour avantager les pays industriels avancés – ou plutôt, soyons précis, des intérêts particuliers en leur sein – et désavantager ceux qui le sont déjà, les jeunes vont investir leur énergie non dans des activités constructives, dans l'édification d'un monde meilleur pour leurs enfants, mais dans des activités destructrices. Et nous en subirons tous les conséquences.
Joseph Stiglitz, Quand le capitalisme perd la tête, 2003, chap. 12, p. 380

Pour le lecteur européen, ça fait bizarre de voir que la justice n'est pas défendue simplement pour elle-même ! On dirait que cet idéal n'existe plus, n'a pas de justification en lui-même (alors qu'il est l'essence de toute justification...).

C'est la prédiction de Jacques Ellul qui se réalise : désormais la technique (l'économie, la recherche de l'efficacité) juge la morale... La justice n'est poursuivie que si elle est efficace.

Je sais qu'il est toujours vain de ramer contre l'histoire, mais on ne peut s'empêcher de penser qu'il y a une profonde décadence dans ce point de vue... A moins que cela aussi ne fasse partie du nouveau monde « par-delà bien et mal ».

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La technique et la nature
Samedi 24 juillet 2010

Les films de science-fiction, avec leurs décors en plastique luisant, nous donnent une vision trompeuse du futur : car la technique n'éloigne pas l'homme de la nature, elle tend au contraire à l'en rapprocher. Elle y tend déjà, et elle y tendra de plus en plus.

Allez, des exemples, des images, des figures :

maison dans un arbre

Le rêve de l'homme est de vivre tout naturellement dans la forêt, sans en ressentir les désagréments ; de dormir nu dans les champs sans se faire irriter par les herbes et piquer par les moustiques ; bref, de consommer une nature sans nature. Grâce à se progrès intellectuels et technologiques constants il se rapproche chaque jour de cet objectif.

Conclusion : les nouveaux matériaux ne nous feront pas vivre dans ces ghettos en plastique que nous montrent les films de science-fiction, ils nous permettront de vivre dans la nature.

Cela dit, les villes ont tout de même de l'avenir, car la concentration humaine aura toujours un intérêt spécifique. Mais elles aussi seront, probablement, de plus en plus naturelles, silencieuses, confortables.

Au grand dam de ce clochard que j'ai rencontré un jour. Il y avait là marché de plantes, et cet homme, qui détestait la nature, s'énervait contre l'évènement : « Qu'est-ce que c'est que toute cette saloperie, toutes ces plantes ? C'est la ville ici ! La nature doit rester à la campagne, ici c'est le goudron et le béton ! »

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Monotone cybernétique
Jeudi 8 juillet 2010

Finalement on a

du café sans café (café décaféiné)
du sucre sans sucre (sucre allégé)
du fromage sans fromage (fromage sans matière grasse)
du sexe sans sexe (sexe virtuel sur internet)
de l'action sans action (jeux vidéos)
des amis sans amis (relations à distance).

De chaque chose on retire la part obscure pour ne garder, grâce au progrès technologique, que ce qui nous intéresse.

Cette part obscure, non désirée, extrinsèque, inconnue, étrange et rebutante, que l'on essaie de cacher, d'ignorer ou de supprimer, c'est le réel.

Ce qui est à l'œuvre ici est une tendance naturelle : la tendance à tout vouloir contrôler. Sécurité maximale.

Mais ce qui apparaît, c'est qu'à vouloir supprimer l'imprévu, on s'emmerde ferme.

La vie, c'est ce qui vous arrive quand vous aviez prévu autre chose.
Je ne sais pas qui a dit ça.
John Lennon peut-être.

Pour vivre il faut se mettre un peu en danger, il faut laisser une place à l'extérieur, à l'étranger, au Grand Autre. Certes, il est plus confortable et sécurisant de ne pas le faire. Mais le confort, c'est la mort.

squelette au lit
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Un monde sans pépins est-il possible ?
Dimanche 27 juin 2010

A l'heure où il est question de commercialisé un saumon génétiquement modifié, voici un argument léger pour un grave sujet. wizzz

J'ai vu récemment une publicité pour une pastèque – sans pépins (laquelle a été produite, comme les raisins et d'autres fruits, par sélection naturelle et sans modification génétique directe). Eh bien, il se trouve qu'une tranche de pastèque sans pépins, ce n'est pas beau.

Pastèque sans pépins

Et cet argument me décide à continuer à manger des pastèques avec pépins. (Il y aurait même un autre argument, que j'ai déjà évoqué, qui selon lequel il n'est permis de manger que les fruits à graine : c'est de considérer l'intérêt de la plante, qui produit des fruits pour disséminer ses graines et se reproduire ainsi...)

Le critère esthétique est décidément souvent utile.

Bosch, enfer

Je sens que nous évoluons inéluctablement vers un monde monstrueux (avec des aliments OGM, des ordinateurs biologiques, des cultures d'organes et de sang, des générateurs d'électricité végétaux) et une exploitation toujours plus sophistiquée de la vie. Dans ce monde il sera de plus en plus difficile de justifier notre conservatisme, notre attachement au passé, à la nature, aux simples choses comme elles étaient, au réel avec sa part d'imperfection (Zizek évoque tous ces nouveaux produits vidés de leur substance : café décaféiné, fromage sans gras, sucre allégé (sucre sans sucre), sexe virtuel (sexe sans sexe), etc.).

Toute la question est de savoir ce qui va se passer. Ou bien le monde deviendra monstrueux (j'emploie ce terme au sens strict, sans connotation négative), ou bien un très fort argument conservateur (j'emploie aussi ce terme de manière neutre) émergera pour nous pousser à freiner cette exploitation monstrueuse de la vie.

En attendant, quand j'entends parler de ces monstres j'ai envie d'aller manger le fruit le plus sauvage et le plus tordu qui soit, caché au fin fond d'une forêt. Je remarque d'ailleurs que ces fruits sont souvent extrêmement goûtus, et que le goût est souvent en fonction inverse de l'apparence (qu'on songe aux petites fraises sauvages). Sans doute que tout se paie et que chaque nouvelle technique nous fait perdre autant qu'elle nous fait gagner. J'ai parfois l'impression que le même argument vaut dans le domaine énergétique, et que chaque nouvelle technologie, plus « propre », induit une saleté plus concentrée mais plus coriace, plus dangereuse. Que l'on compare par exemple la vieille craie, qui salit copieusement les mains, avec les nouveaux feutres et leur encre chimique.

L'idée que l'on perd toujours autant que l'on gagne, voilà une loi de Murphy qui me semble d'ailleurs assez crédible du fait que des lois du même style ont été établies en physique (notamment la loi de la croissance de l'entropie, liée à la loi de conservation de l'énergie et à la fameuse formule : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme).

Affaire à suivre...

Pour ce qui est des OGM, je ne suis pas convaincu de leur nocivité, mais je propose la position suivante (outre l'argument esthétique, non négligeable, mentionné plus haut) : nous n'en avons pas besoin. Nous pouvons nourrir l'humanité sans cela. Et même si les risques ne sont pas clairement identifiés, le principe de précaution devrait nous inciter à la plus grande prudence, comme pour la question du réchauffement climatique.

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Dans le doute, amuse-toi
Dimanche 8 février 2009

De plus en plus, nos actes sont guidés par le discours du biopouvoir. Par exemple, les discours des nutritionnistes sur ce qui est bon et ce qui ne l'est pas déterminent de plus en plus notre alimentation. Or agir en suivant ces prescriptions est non seulement laid et ennuyeux, mais douteux, car les questions sont loin d'être tranchées. Chaque nouvelle étude tend à contredire la précédente. La salade est cancérigène ; mais ne pas manger de salade est encore plus cancérigène. La science n'a pas encore fait le tour de l'homme, et il est probable qu'en vérité l'alimentation idéale dépend de la complexion de chacun, et que finalement notre goût, notre instinct, soit le meilleur guide. Et quand bien même il ne le serait pas, ne vaut-il pas mieux une vie courte passée à faire ce qu'on aime plutôt qu'une longue vie guidée par les prescriptions et les ordonnances des médecins et des scientifiques ?

Voici donc une philosophie merveilleusement simple : dans le doute, quand il faut choisir entre deux actes aux conséquences lointaines et incertaines, autant opter pour la solution la plus agréable dans l'immédiat.

Finalement cette philosophie est en quelque sorte l'inverse du pari de Pascal. A l'époque où l'éternité paraissait avoir quelque crédibilité, Pascal pouvait utiliser les statistiques pour recommander de sacrifier la vie terrestre dans l'espoir d'un au-delà. Aujourd'hui, avec la terre et la chair pour seuls horizons, les mêmes statistiques nous conduisent au résultat inverse, et au principe de précaution on peut opposer le principe de plaisir.

Mais ceci ne vaut que pour l'action qui n'engage que nous. Quand notre action risque d'avoir des conséquences pour l'environnement et les générations futures, alors la prudence reste de mise.

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Diagnostic pré-implantatoire
Lundi 12 janvier 2009

Le premier diagnostic pré-implantatoire a été réalisé au Royaume Uni, et ça fait un peu peur. Pourquoi ? Parce que si désormais nous pouvons sélectionner nous-mêmes un embryon pour éviter que notre progéniture ait telle ou telle maladie, eh bien, en quelque sorte nous le devons, et c'est une responsabilité de plus (ô combien lourde !) qui passe des mains de Dame Nature aux nôtres.

Et bientôt c'est le monde entier qui pèsera sur nos fragiles épaules. Nous serons comme Atlas ; mais nous n'avons pas sa force. « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », disait Rabelais. Et pourtant nous avons la science sans avoir la conscience.

Mais que faire ? Nous n'avons pas le choix, il va falloir y aller, et bidouiller dans la chair nous-mêmes, mettre nos mains dans le Divin Cambouis. Ce n'est ni très agréable ni très beau. On préfèrerait presque voir un nourrisson craquer joyeusement sous la dent d'un tigre ! [GROARK !] Pardon, je m'égare. Et pourtant. Tout ce qui est sauvage est beau.

D'ailleurs on y viendra. On finira par mettre la qualité au-dessus de la quantité, la beauté au-dessus de la sécurité : par la force des choses on redeviendra grec, on préfèrera mourir plutôt que vivre mal. Ce n'est qu'une question de temps. Il va falloir apprendre à mourir.

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