Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Grammaire et logique
Samedi 11 septembre 2010

Il y a trois catégories principales de mots :

des noms, des adjectifs, des verbes.

Si on se focalise sur les noms et les adjectifs, on aboutit à une logique centrée sur la dualité entre des choses et des qualités (sujets et attributs, substances et propriétés). Le verbe se trouve limité au verbe être et au rôle de copule (relier la chose à sa caractéristique, comme dans la phrase « Le ciel est bleu. ») C'est une belle logique, celle que l'Occident a développé, mais qui conduit à de redoutables apories quand on la confronte au temps. En fait, c'est une logique qui ne tient pas compte du tout du temps, qui se place automatiquement du point de vue de l'éternité, et qui ne peut saisir le temps que de l'extérieur, à titre de coordonnée supplémentaire, comme elle saisit l'espace.

Si on se focalise sur les verbes, on aboutit à une logique du processus. Je suppose (mais je n'y connais rien) que les Chinois se sont peut-être davantage focalisés sur les verbes.

Martin Heidegger
Martin Heidegger

En Occident, un philosophe a bien essayé de s'interroger sur le verbe : Martin Heidegger. Mais curieusement, peut-être à cause de la tradition dont il hérite il s'est surtout intéressé au verbe être. Et du coup sa prise en compte du verbe est plutôt une prise en compte de la subjectivité. Sa manière de « résoudre » le problème du temps dans Etre et temps est ainsi purement subjectiviste : il nous dit en gros dans ce livre que l'être repose sur le temps, au sens où la conscience (qui fait accéder à toute vérité donc à tout « être » puisque toute vérité peut s'énoncer « S est P ») repose sur le temps, car elle repose sur l'action (avoir conscience d'un objet, c'est savoir le manipuler, s'attendre à certaines réactions de sa part, etc.). Voilà une manière pour le moins indirecte d'aborder la question du temps !

Mots-clés :  temps   logique   langage   être   conscience   subjectivité   Heidegger   
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Les ponts
Vendredi 10 septembre 2010

Les ponts m'ont toujours fasciné et séduit par leur atmosphère propice à la méditation.

Plusieurs facteurs contribuent à cela : le pont est un carrefour, mais sans collision, avec un côté aérien ; et puis c'est un lieu d'où l'on peut contempler le temps, symbolisé par l'eau qui passe dessous. D'ailleurs on dit : « de l'eau aura coulé sous les ponts » pour dire que du temps aura passé.

Et selon le côté où l'on se met, on voit le passé ou l'avenir. Ainsi les nostalgiques et les ambitieux aiment tous deux les ponts ; ils choisissent juste un côté différent.

Passerelle du canal Saint-Martin

J'en étais à me faire ces réflexions sur une passerelle du canal Saint-Martin, quand je me suis rendu compte qu'il y a encore une composante à l'atmosphère magique des ponts. C'est que sur les ponts, flottant comme une effluve diffuse, il y a aussi la pensée du suicide. Ce n'est pas seulement une pensée triste, c'est aussi la pensée de la liberté et de la vie. Mais il est certain qu'on envisage toujours la possibilité de sauter.

J'ai alors baissé les yeux, et à ma grande stupeur j'ai constaté que l'eau était rigoureusement immobile. Elle ne s'écoulait pas. Ce pont était le pont de l'éternité. Au lieu d'y contempler le temps on y voyait apparaître les choses sous l'aspect de l'éternité.

Mots-clés :  temps   suicide   éternité   divers   
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La beauté du temps
Lundi 31 mai 2010

Le temps est beau. Sa beauté se montre dans les vieux objets, les pierres millénaires, les rides des vieillards, les lierres des murs et les lichens des forêts. C'est ce que les japonais appellent le sabi (beauté de l'ancien).

sculpture de la cathédrale saint-pierre

Mais c'est encore le temps, je crois, qui fait en partie la beauté des ouvrages d'artisanat finement et longuement ciselés et travaillés : les fines sculptures en pierre des cathédrales, par exemple, qui ressemblent à de la dentelle. Ici la beauté réside dans l'importante quantité de travail contenue par la chose, c'est-à-dire dans le temps qu'elle cristallise. On s'en rend compte quand on voit le même objet, parfois dans un matériau également noble, mais réalisé par des procédés industriels, à la chaîne. Certes, l'idée que l'objet n'est pas unique contribue alors à notre dépit. Mais je crois que la rapidité de sa production y est aussi pour quelque chose. On pourrait encore dire que ce plaisir esthétique est celui de la domination : l'objet longuement travaillé est comme imprégné de la sueur d'hommes, et celui qui possède l'objet possède ce travail, il est symboliquement leur maître.

Je trouve ce critère intéressant pour juger de la valeur de l'écriture. La littérature, je crois, nous plaît souvent parce qu'elle est riche et travaillée, exactement comme une sculpture ciselée dans le marbre. A contrario, la prose journalistique est déplaisante car pauvre et toujours écrite à la va-vite (je dois malheureusement inclure ce blog dans cette triste catégorie !).

Il y a ici une tension entre ce principe, en accord avec l'idée de Nietzsche du génie comme grand travailleur, et le fait que l'effort lui-même disparaît de l'œuvre d'art. Il faut donc du temps, mais aussi de la maestria. Sinon, ça devient laborieux. Ça sent l'huile, comme on dit.

Mots-clés :  esthétique   temps   beauté   travail   
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Le coup de génie de Spinoza
Lundi 10 mai 2010

Voici aujourd'hui une pure réflexion d'histoire de la philosophie.

Le coup de génie de Spinoza a été de concevoir le monde comme conatus, c'est-à-dire comme désir, effort, processus, mouvement et tension vers un but.

Les conséquences de ce point sont capitales : cela permet de concevoir le monde comme « tout bon » malgré l'indéniable existence du « mal » et de l'imperfection.

Certes, il y a du mal, nous dit Spinoza, mais le monde tend vers le mieux, donc ce mal n'est qu'une faiblesse, une absence, un creux.

portrait de Spinoza

L'image d'un monde éternel, figé comme une pierre, ne permet pas d'opérer une telle distinction et de réunir ainsi deux choses apparemment contradictoires. Le temps est l'opérateur dialectique par excellence. Source de la contradiction, il en est aussi la solution.

Il y a d'ailleurs, plus généralement, dans les spiritualités et les religions messianiques (comme la religion juive, dont Spinoza s'inspire), cette habile conciliation de l'idée religieuse que « tout est bon » avec la constatation empirique du mal. Le futur donne la solution. Ou, dans le cas de Spinoza, un peu plus subtilement, l'équivalent ontologique de ce futur, car la tension vers le mieux est déjà contenue dans le présent lui-même.

Mots-clés :  spinozisme   éthique   temps   ontologie   
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« J'ai pas le temps »
Vendredi 7 mai 2010

« J'ai pas le temps. »

Cette phrase a un statut particulier : elle est l'excuse universellement acceptée, sans qu'on nous pose de questions. C'est bien pratique.

Pourquoi cela ?

Il y aurait encore bien des choses à dire à ce sujet, mais je vais m'arrêter là parce que je n'ai pas le temps de développer davantage. ;)

De toute façon vous n'auriez sans doute pas eu le temps de lire ces développements. ;)

Mots-clés :  temps   langage   divers   
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L'incertitude du bonheur
Mardi 10 mars 2009

Pendant les vacances, j'ai lu Une Vie de Guy de Maupassant. C'est l'histoire triste et réaliste d'une jeune femme normande qui épouse un homme un peu au hasard, emportée par son imagination de jeune fille, et qui par ce seul acte aura gâché toute sa vie : elle ne connaîtra jamais le véritable amour et devra endurer toutes les misères de l'existence humaine. Malgré tout elle connaîtra aussi des satisfactions, même minimes, au cœur de son malheur. Le roman se termine par cette phrase : « La vie, voyez-vous, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. »

Cela fait penser à la remarque de Primo Levi dans Si c'est un homme : au camp de concentration, face aux plus grandes misères que l'on puisse imaginer, Primo Levi se rend compte qu'il n'y a pas plus de malheur absolu que de bonheur parfait : l’incertitude concernant l’avenir, l’assurance de la mort (qui fixe un terme à la joie comme à la souffrance) et les petits soucis matériels empêchent l’un comme l’autre.

Ceci nous permet encore de comprendre ce vers énigmatique :

Un souvenir heureux est peut-être sur terre plus vrai que le bonheur
Alfred de Musset

En effet le souvenir est précisément privé de cette incertitude liée à l'avenir : il est à l'abri dans le passé. Au moment où nous vivons des instants exquis (un flirt pendant les vacances, par exemple), nous sommes complètement absorbés et nous ne savons pas comment tout cela finira. Avec le temps, si aucun malheur ne vient interrompre ces moments, et si aucun bonheur plus grand ne vient leur faire de l'ombre, peu à peu nous les voyons émerger comme les plus beaux jours de notre vie.

Finalement les souvenirs font penser au vin : ils sont dans nos têtes comme dans des fûts où ils se bonifient en vieillissant. Ah, quels nectars pourrons-nous boire quand nous serons bien vieux ! Décidément je suis impatient d'être vieux (l'autre raison, c'est pour pouvoir relire les livres).

Mots-clés :  bonheur   incertitude   littérature   temps   vieillesse   
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