Les ponts m'ont toujours fasciné et séduit par leur atmosphère propice à la méditation.
Plusieurs facteurs contribuent à cela : le pont est un carrefour, mais sans collision, avec un côté aérien ; et puis c'est un lieu d'où l'on peut contempler le temps, symbolisé par l'eau qui passe dessous. D'ailleurs on dit : « de l'eau aura coulé sous les ponts » pour dire que du temps aura passé.
Et selon le côté où l'on se met, on voit le passé ou l'avenir. Ainsi les nostalgiques et les ambitieux aiment tous deux les ponts ; ils choisissent juste un côté différent.
J'en étais à me faire ces réflexions sur une passerelle du canal Saint-Martin, quand je me suis rendu compte qu'il y a encore une composante à l'atmosphère magique des ponts. C'est que sur les ponts, flottant comme une effluve diffuse, il y a aussi la pensée du suicide. Ce n'est pas seulement une pensée triste, c'est aussi la pensée de la liberté et de la vie. Mais il est certain qu'on envisage toujours la possibilité de sauter.
J'ai alors baissé les yeux, et à ma grande stupeur j'ai constaté que l'eau était rigoureusement immobile. Elle ne s'écoulait pas. Ce pont était le pont de l'éternité. Au lieu d'y contempler le temps on y voyait apparaître les choses sous l'aspect de l'éternité.