Enfant, on fait des cauchemars. On est terrorisé par les monstres qu'on imagine sous son lit.
Il arrive qu'on s'en sorte de la façon suivante : un jour on n'y croit plus, et on se moque d'eux. On les appelle, on les défie, tous ces monstres invisibles, et ils ne viennent pas. Alors on comprend avec joie qu'on est plus fort qu'eux, qu'ils n'existent pas.
Dans une maison hantée, le plus sûr remède à l'angoisse reste de défier, de provoquer ainsi les fantômes. C'est le paradoxe du fantôme : il n'existe que parce qu'on a peur de lui.
Conclusion : les fantômes existent bel et bien. Il y en a un même une grande variété d'espèces. Mais tous peuvent être anéantis par la même méthode.
Il y a dans le livre de Jeremy Rifkin, La Fin du travail, une pirouette amusante que je ne peux m'empêcher de livrer ici, ne serait-ce que pour son esthétique.
Smith pensait que par la magie du libre marché, les intérêts individuels font l'intérêt général. Rifkin nous rappelle que le contraire est également vrai : se mettre au service des autres rend heureux, peut-être plus sûrement que ne le fait la recherche égoïste du bonheur :
Décidément, tout est bon, le monde est bien joli, c'est merveilleux.
Toutes les magies sont dans la nature... humaine.
Bon, certes, tous les vices aussi.
Il est un processus que l'on retrouve sous de multiples formes : concentrer le mal sur un objet, puis détruire cet objet.
Ainsi le chamane, au cours d'une véritable mise en scène de prestidigitateur avec son et lumière, extrait un petit objet du corps du malade, un fétiche, une imitation d'araignée, etc., qu'il détruit de façon spectaculaire sous les yeux du patient. Celui-ci guérit alors miraculeusement (quand la thérapie fonctionne), par effet placebo en quelque sorte.
Le processus est le même dans le cas de Jésus, ce sacrifice inversé (non pas un bien terrestre donné au dieu, mais un bien divin donné aux hommes) : Jésus a pris la faute de l'humanité entière sur lui, puis il a été mis à mort.
Enfin, c'est encore le même fonctionnement dans la recherche de boucs émissaires : le nazisme, par exemple, impute aux Juifs la responsabilité de tous les maux des Allemands, puis les extermine...
Lugubre processus... Il signifie d'abord le besoin, fondamental, de donner un objet à la cruauté, à l'instinct de vengeance. Plus subtilement, René Girard y voit le moyen de mettre fin à la rivalité des désirs mimétiques...
Notre admiration pour les héros est un phénomène étonnant.
On aime d'abord le héros comme on aime la vertu qu'il incarne : par égoïsme. En effet, rien ne m'est plus utile qu'un homme « bon ». Paradoxe : l'altruisme tire sa valeur de l'égoïsme !
Voilà pour l'admiration. Mais il est plus difficile d'expliquer pourquoi on veut ressembler au héros. En effet, si on y réfléchit deux minutes, il n'est peut-être pas si agréable d'être le héros du dernier film américain : on risque de crever à chaque minute. A voir, ça va, mais à être, c'est une toute autre affaire.
Première explication : peut-être veut-on être un héros pour faire l'objet de l'admiration, précédemment évoquée, qu'il suscite. On sait bien que la vertu procède de l'amour des éloges (Hobbes, Léviathan, I, 11).
Mais il y a une autre raison : le mousquetaire prêt à risquer sa vie pour l'honneur nous stupéfie aussi par sa capacité à mettre ses valeurs tellement au-dessus de sa vie. Il y a là une sorte de magie, de supériorité miraculeuse. Il semble mépriser la mort. Quelle chance ! Quelle force ! Et c'est peut-être aussi pour cela que nous désirons lui ressembler.
Nous sommes épatés par le héros, car il a un « air de miracle », comme disait Nietzsche. Il semble défier les lois naturelles, en particulier la loi de l'égoïsme universel.
C'est encore cette admiration que Kant appelle le pur respect de la loi morale, c'est-à-dire le respect ressenti pour celui qui réprime ses penchants égoïstes au nom du seul devoir.
Enfin on trouve encore cette idée chez Jésus, qui rejette la loi du talion en expliquant que la bonté consiste à faire davantage que ce qui est seulement « normal » :
D'ailleurs le cinéaste Lars Von Trier verra dans cette manière de se placer au-dessus des lois une forme d'arrogance. En particulier, être plus exigeant envers soi-même qu'envers autrui, n'est-ce pas se considérer supérieur à lui ? Mais c'est une autre histoire... Si cela vous intéresse, regardez le film Dogville !
L'autre soir, au bar, un ami artiste remarquait ce paradoxe : la création artistique est un travail épuisant, et pourtant elle nous donne plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Créer donne la pêche.
Ça m'a fait penser à ce que dit Henry Miller sur la sexualité : au plus on aime, au plus on désire.
Ces idées sont contre-intuitives. On s'attendrait plutôt à l'effet inverse. Comment peut-on recevoir alors que l'on donne ?
Cela contredit aussi les idées freudiennes sur la sublimation, qui supposent que nous aurions en quelque sorte une quantité d'énergie donnée que nous pourrions dépenser d'une manière ou d'une autre. Cette théorie de la sublimation est d'ailleurs radicalement remise en cause par certains philosophes. Simone Weil, par exemple, considère que c'est exactement le contraire de la sublimation qui se produit : ce n'est pas un désir sexuel qui est transformé en désirs spirituels, mais au contraire les désirs spirituels de l'homme qui sont incarnés dans la création artistique et le désir sexuel :
Bref,
faire l'amour est une manière de chercher Dieu, ou la Vérité, ou le Bien... On retrouve la vieille hypothèse idéaliste de Platon, belle mais folle. Je dis folle, mais cette manière de voir comporte une part de vérité. L'homme est corps et esprit, et il n'est pas facile de savoir si c'est le corps qui détermine l'esprit ou l'inverse.Pour ma part, il m'est arrivé de rêver que je faisais la révolution, ou que je cherchais la Vérité ; et en même temps, dans mon sommeil, j'étais en train de sauter sur la femme qui se trouvait à mes côtés : mon désir sexuel était totalement transfiguré, sublimé dans le rêve ! Etait-ce mon désir de Vérité ou de Victoire qui s'incarnait, ou un désir purement charnel (et en tant que tel, absolument dénué de sens) qui prenait une forme spirituelle ?
Tout ce que l'on peut dire, c'est que le corps et l'esprit de l'homme avancent d'une seule pièce ; de sorte que toute activité comporte toujours deux dimensions, l'une corporelle et l'autre spirituelle. On retrouve ici le parallélisme de Spinoza : ce n'est ni le corps qui détermine l'esprit, ni l'esprit qui détermine le corps (affirmer l'un ou l'autre serait faire une erreur catégorielle), mais une même réalité qui se manifeste simultanément sur le plan physique et sur le plan mental.
Ou pour le dire avec la simplicité de Miller :
Cette manière de voir les choses nous aide à comprendre que le désir puisse se stimuler lui-même et « accroître notre puissance », pour le dire dans les mots de Spinoza. C'est une conception étroitement matérialiste, ou à court terme, qui nous induit en erreur : car même dans le sport l'effort produit, à long terme, un surcroît de force et d'énergie. Il y a là une magie de la vie et de l'existence, que l'on retrouve aussi bien au plan corporel qu'au plan existentiel. C'est peut-être aussi la condamnation chrétienne des désirs qui nous empêche de voir à quel point ils nous sont favorables. Sans parler de cette vieille idée selon laquelle l'homme chercherait le bonheur, entendu comme repos, et non l'activité, le désir, l'augmentation de puissance.
Alors ça j'en parle parce que c'est quand même comique : il paraît (selon une étude menée par John Coates, de l'Université de Cambridge, et parue aujourd'hui) que les financiers qui ont l'annulaire plus long que l'index sont meilleurs que les autres.
Explication : un annulaire plus long que l'index révèle un niveau élevé d'exposition prénatale aux androgènes, ce qui entraîne un taux élevé de testostérone, une hormone qui accroît la confiance en soi et la vitesse de réaction.
Il y a par ailleurs l'idée qu'il suffit d'avoir confiance en soi pour réussir. J'aime bien cette idée, qui entre dans la vaste catégorie des « théories de la magie » : il suffit de croire en une chose pour qu'elle advienne. Prophétie auto-réalisatrice. Et inversement il suffit bien souvent d'imaginer le pire pour qu'il se produise. Car l'imaginer c'est déjà le vouloir, et par ailleurs la seule crainte nous affaiblit déjà.
C'est là une belle théorie, qui fonde d'ailleurs le spinozisme (je veux dire l'idée qu'il faut chercher au maximum à voir le bon côté des choses pour être mû par un affect de joie plutôt que par une passion triste). Et c'est aussi sur la base de cette idée que la psychanalyse explique qu'un enfant ayant reçu beaucoup d'amour de sa mère aura une forte confiance en lui et réussira dans la vie.
Mais si la confiance en soi est déterminée biologiquement, cela suggère une autre explication : il se pourrait que ce ne soit pas la confiance qui entraîne la réussite, mais un troisième facteur (hormonal) qui entraîne à la fois la confiance en soi et des dispositions particulières (ex : la vitesse de réaction, selon cette étude) qui favorisent la réussite.
Quoi qu'il en soit, il reste sans doute vrai que la confiance en soi est facteur de succès, car elle possède une efficacité causale propre : elle se traduit par des effets psychologiques et existentiels non négligeables. C'est pourquoi la chance sourit aux audacieux : car elle n'existe que pour celui qui est prêt à la saisir...