Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Critique de la sublimation
Samedi 7 février 2009

L'autre soir, au bar, un ami artiste remarquait ce paradoxe : la création artistique est un travail épuisant, et pourtant elle nous donne plus d'énergie qu'elle n'en consomme. Créer donne la pêche.

Ça m'a fait penser à ce que dit Henry Miller sur la sexualité : au plus on aime, au plus on désire.

Ces idées sont contre-intuitives. On s'attendrait plutôt à l'effet inverse. Comment peut-on recevoir alors que l'on donne ?

Cela contredit aussi les idées freudiennes sur la sublimation, qui supposent que nous aurions en quelque sorte une quantité d'énergie donnée que nous pourrions dépenser d'une manière ou d'une autre. Cette théorie de la sublimation est d'ailleurs radicalement remise en cause par certains philosophes. Simone Weil, par exemple, considère que c'est exactement le contraire de la sublimation qui se produit : ce n'est pas un désir sexuel qui est transformé en désirs spirituels, mais au contraire les désirs spirituels de l'homme qui sont incarnés dans la création artistique et le désir sexuel :

Aux yeux de Platon, l'amour charnel est une image dégradée du véritable amour. L'amour humain chaste (fidélité conjugale) en est une image moins dégradée. L'idée de sublimation ne pouvait surgir que dans la stupidité contemporaine.
Simone Weil, La Pesanteur et la grâce

Bref, baiser faire l'amour est une manière de chercher Dieu, ou la Vérité, ou le Bien... On retrouve la vieille hypothèse idéaliste de Platon, belle mais folle. Je dis folle, mais cette manière de voir comporte une part de vérité. L'homme est corps et esprit, et il n'est pas facile de savoir si c'est le corps qui détermine l'esprit ou l'inverse.

Pour ma part, il m'est arrivé de rêver que je faisais la révolution, ou que je cherchais la Vérité ; et en même temps, dans mon sommeil, j'étais en train de sauter sur la femme qui se trouvait à mes côtés : mon désir sexuel était totalement transfiguré, sublimé dans le rêve ! Etait-ce mon désir de Vérité ou de Victoire qui s'incarnait, ou un désir purement charnel (et en tant que tel, absolument dénué de sens) qui prenait une forme spirituelle ?

Tout ce que l'on peut dire, c'est que le corps et l'esprit de l'homme avancent d'une seule pièce ; de sorte que toute activité comporte toujours deux dimensions, l'une corporelle et l'autre spirituelle. On retrouve ici le parallélisme de Spinoza : ce n'est ni le corps qui détermine l'esprit, ni l'esprit qui détermine le corps (affirmer l'un ou l'autre serait faire une erreur catégorielle), mais une même réalité qui se manifeste simultanément sur le plan physique et sur le plan mental.

Ou pour le dire avec la simplicité de Miller :

Body and soul cannot be separated, especially in the sex act.
Henry Miller, Sexus

Cette manière de voir les choses nous aide à comprendre que le désir puisse se stimuler lui-même et « accroître notre puissance », pour le dire dans les mots de Spinoza. C'est une conception étroitement matérialiste, ou à court terme, qui nous induit en erreur : car même dans le sport l'effort produit, à long terme, un surcroît de force et d'énergie. Il y a là une magie de la vie et de l'existence, que l'on retrouve aussi bien au plan corporel qu'au plan existentiel. C'est peut-être aussi la condamnation chrétienne des désirs qui nous empêche de voir à quel point ils nous sont favorables. Sans parler de cette vieille idée selon laquelle l'homme chercherait le bonheur, entendu comme repos, et non l'activité, le désir, l'augmentation de puissance.

Mots-clés :  sublimation   magie   vie   
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