La beauté ne se mange pas.
On n'est pas ce qu'on mange, on est ce qu'on fait.
La preuve, c'est la différence entre la sauterelle et la vache, qui mangent pourtant la même chose.
A dire aux femmes qui pensent que leur santé et leur beauté dépendent exclusivement de ce qu'elles mangent, et non de leur activité et de leur bonheur.
(D'ailleurs ce qu'on mange dépend de notre activité et de notre bonheur.)
Pourquoi est-il si agréable de manger ?
En étudiant la philosophie j'ai appris qu'on pouvait répondre des tas de choses folles à ce genre de questions banales. En voici un exemple d'une telle investigation interprétatrice.
Pourquoi manger est si bon ? Voyons. Que se passe-t-il quand on mange ? D'abord, on tue. C'est violent. Oui, tout ce qu'on mange est vivant. Dans le meilleur des cas, c'est une partie conçue par la plante pour être mangée (exemple unique à ma connaissance : le fruit) donc on ne tue pas vraiment, mais quand même. Donc manger, c'est le plaisir de tuer (pulsion de mort).
Mais manger n'est pas seulement détruire (l'aliment), c'est aussi construire (notre corps). Donc manger est le plaisir de vivre (pulsion de vie). Finalement, voici : en mangeant se produit ce miracle : on en tue un pour en faire vivre un autre. La matière de l'un nourrit l'autre. Elle entre sous un autre rapport, elle revit dans un autre être. Finalement, manger est une résurrection. Le plaisir de manger est donc le plaisir de la résurrection.
Je ne sais pas si c'est ce qu'ont voulu symboliser les Pères de l'Eglise avec cette histoire d'ostie, métaphore du corps du Christ qu'on avale, brr, ça fait un peu cannibale. Peut-être.
Il y a des végétariens qui le sont parce qu'il aiment les animaux et ne veulent pas leur faire de mal. (Ce qui est déjà paradoxal : j'ai un ami qui est plus cohérent : il déteste les animaux et c'est pour ça qu'il est végétarien.)
Mais pourquoi compatir avec les poulets et pas avec les salades ? Les salades aussi son des êtres vivants.
Je suppose que c'est une extension de la philosophie morale de Hume : je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes compatriotes, mes compatriotes au reste de l'humanité, l'humanité aux animaux, et les animaux aux végétaux... (A ce sujet, d'ailleurs, Lévi-Strauss voit dans le racisme le prolongement naturel de l'humanisme : on commence par mettre l'homme au-dessus des animaux et on finit par mettre une ethnie humaine au-dessus des autres.)
De plus, philosophiquement cela pose un problème, car on ne sait même pas distinguer l'animal du végétal. Une anémone de mer, par exemple, c'est un animal ou un végétal ? Vous demanderez à votre prof de biologie.
J'en conclus qu'il faut pousser les choses plus loin. Allons au bout de notre idée consistant à ne pas faire de mal aux autres. Le problème, c'est que nous nous nourrissons exclusivement d'êtres vivants, si bien que « chaque créature est le tombeau vivant de mille autres », pour reprendre la magnifique et morbide formule de Schopenhauer, qu'on peut vaguement se représenter par une toile d'Arcimboldo.
Heureusement, la nature est bien faite : en réalité certaines choses sont faites pour être mangées : les fruits. Eh oui. Les fruits sont fabriqués par les plantes pour que nous, les animaux à pattes, on les bouffe, disséminant ainsi les graines. A partir de maintenant tous ceux qui mangent autre chose que des fruits sont des méchants.
Alimentaire, mon cher Watson.