Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

La paresse et l'ennui
Vendredi 2 juillet 2010

Je reviens un instant sur cette réflexion sur le plaisir du néant.

Oui, la paresse est le contraire de l'ennui.

Car tandis que l'ennui consiste à souffrir du néant, la paresse consiste à en jouir.

Mais c'est là une manière poétique de parler. En vérité, à y regarder de plus près, l'ennui est plutôt un rapport au désir, comme l'a vu Schopenhauer (qui considérait l'ennui comme le désir de désirer). En fait, il y a deux sortes d'ennui : l'ennui lié à l'impossibilité d'agir (quand on attend un train), et qui ressemble à de l'impatience ; et l'ennui qui survient de soi-même, quand rien ne nous fait envie (la douloureuse absence de désir dont parle Schopenhauer). Dans les deux cas on souffre de l'impossibilité de désirer et d'agir, mais dans le premier cas l'entrave est hors de nous alors que dans le second cas elle est en nous.

Eh bien, la paresse aussi, je crois, est un rapport au désir. Elle est le plaisir de ne pas désirer. La paresse ne peut survenir que chez l'homme satisfait. Il faut être comblé pour se réjouir de la perspective d'une après-midi à ne rien faire du tout. Ce sentiment survient souvent après l'amour, quand on savoure le simple fait d'exister, allongé, sans ressentir le moins du monde le besoin exotique de faire quelque chose. Nous n'avons alors pas besoin de nous agiter pour nous sentir exister, car nous nous sentons déjà exister sans rien faire. C'est la plénitude.

Cette beauté de la paresse a été occultée par le dénigrement moralisateur dont elle a fait l'objet.

D'ailleurs il est significatif que ce qui nous tire le plus sûrement des affres de l'ennui est aussi ce qui nous fait accéder aux délices de la paresse : la femme.

Dire que la paresse est le contraire de l'ennui nous permet aussi de comprendre leur proximité, leur air de famille : car les contraires se ressemblent souvent.

Mots-clés :  ennui   désir   néant   paresse   
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Je m'en fous
Dimanche 16 mai 2010

« Je m'en fous. »

Ces trois mots magiques (où tient toute la philosophie, selon Montesquieu) sont une bénédiction. J'ai même parfois envie de dresser la longue, l'interminable liste des choses dont je n'ai rien à foutre, juste pour le plaisir.

Mais toute bonne chose a sa contrepartie, et si ces trois petits mots sont une délivrance, ils sont aussi la source d'un tracas peut-être encore plus grand. A tel point qu'on peut remettre en cause l'idéal stoïcien, consistant à mépriser (ignorer) tout ce qui ne dépend pas de nous. Dans leur équation du bonheur, les Stoïciens n'auraient-ils pas oublié le paramètre « ennui » ?

La mélancolie, par Dürer

Mots-clés :  nihilisme   stoïcisme   ennui   bonheur   
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De la supériorité de l'homme blasé
Mardi 17 mars 2009

Quand une chose nous ennuie on peut se sentir supérieur à celui qui aime cette chose. On se sent « au-dessus de ça ».

Et il faut reconnaître que les artistes sont comme des gosses. Ils s'intéressent à un rien. Et c'est précisément pour ça qu'ils sont si bons. Un peintre, un photographe ou un cinéaste génial a dû s'émerveiller devant bien des choses qui nous arracheraient à peine un haussement d'épaules.

La vérité serait peut-être donc ceci : l'homme qui s'ennuie de tout est supérieur à ceux qui trouvent encore de la valeur aux choses. Car il vise plus haut qu'eux. Et il trône du haut de son ennui, assis dans un coin de sa chambre obscure, dominant tous les artistes et les passionnés qui grouillent, en bas, dans la rue, occupés à leurs petites affaires. Sa hauteur est celle du mépris et de l'indifférence.

Et personne ne reconnaît ce fait fondamental, et tous continuent à aduler les artistes et les créateurs en tous genres... Une fois de plus le préjugé social en faveur de la vie et de l'activité répand ses éloges mensongers mais utiles...

Il y a pourtant deux objections sérieuses à cette vision des choses.

Premièrement, il se pourrait que l'ennui ne soit pas une marque de supériorité, mais d'infériorité. Car il résulte de l'incapacité à percevoir l'intérêt, la beauté ou la richesse de la chose (une personne, une œuvre d'art, une situation).

Deuxièmement, même si on admet que l'ennui est la marque d'un désir supérieur, il n'en reste pas moins que le monde appartient aux humbles, à ceux qui l'acceptent tel qu'il est. Il y a peut-être une opposition fondamentale entre la valeur et l'existence. Pour exister, pour vivre, il faut admettre le monde tel qu'il est, il faut renoncer aux idéaux. L'idéaliste qui s'ennuie est comme l'homme qui reste célibataire parce qu'il ne veut que la femme idéale.

Mots-clés :  ennui   hauteur   curiosité   
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