Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

L'expérience platonicienne
Dimanche 21 novembre 2010

Allez, comme je n'en suis plus à une farfeluité près, je vais raconter l'expérience philosophique fondamentale qui est à la source de la philosophie platonicienne, je veux dire cette idée selon laquelle « philosopher c'est apprendre à mourir », au sens d'apprendre à faire taire le corps pour que l'âme ne soit pas souillée ni dérangée par lui et puisse penser en paix.

Platon baise une jolie carthaginoise, il l'attrape par les cheveux, etc., il est pris par la sauvage furie des sens. Puis, radieux, en poussant des rugissements incontrôlés, il atteint l'extase, ce fameux point triple où on ne sait plus si on est solide, liquide ou gazeux. Alors heureux vidé rassasié satisfait épuisé assouvi, le voilà qui roule dans les draps et se retrouve allongé sur le dos, face aux étoiles invisibles. La fine main de son amante vient se poser sur sa poitrine, délicatement, il en sent chaque doigt sur sa peau émerveillée.

après l'amour

Ô, délicieux silence du corps apaisé ! Dans ce calme ses yeux s'ouvrent et il voit de nouvelles choses. Dans ce silence il entend de nouvelles musiques, plus subtiles et plus délicates. Son esprit est enfin libre pour les errances aériennes, comme un ballon de baudruche porté par la brise.

Bref, Platon sent émerveillé que ses pensées sont plus nettes, comme la vision dans l'air limpide du matin. Et c'est pourquoi, idéaliste, il fait en quelque sorte l'éloge de la mort.

Là-dessus, en tant que matérialiste et bon vivant, on peut hésiter à sauter ainsi du repos à la mort. Et, même si l'on admet que l'apaisement du corps présente un certain intérêt spirituel, il reste à trancher une question importante : atteindra-t-on mieux un apaisement savoureux par l'ascèse et l'apprentissage du renoncement, ou par le désir et la jouissance qui mènent à la plénitude comme un fleuve qui se jette dans la mer ?

Mots-clés :  corps   esprit   mort   philosophie   repos   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
La mort, condition de la joie
Vendredi 20 août 2010

La fête des morts mexicaine permet d'éprouver, de ressentir dans sa chair, la vérité philosophique suivante :

La mort rend joyeux.

C'est ainsi qu'en sortant de l'exposition sur les vanités (tableaux illustrant, par des images morbides, la misère de la condition humaine) qui se tenait au musée Maillol à Paris, de nombreux visiteurs étaient étonnamment gais.

Fête des morts au Mexique
Fête des morts au Mexique

Mais il n'y a là rien d'étonnant. L'idée de la mort attriste, certes, mais elle donne aussi le sentiment de la brièveté de la vie. D'où la soudaine envie de faire n'importe quoi, et vite. C'est ainsi que la joie se distingue du bonheur : la joie est une envie de vivre où entre un peu de folie, d'hystérie, d'angoisse, de frénésie.

Et aussi beaucoup d'allégresse, car la mort suscite le sentiment de l'absurde, qui nous soulage en allégeant nos misères quotidiennes : il nous rappelle qu'elles n'ont pas de sens.

On retrouve cette idée d'une joie qui naît de l'angoisse un peu partout, par exemple chez Heidegger, ou dans cette chanson de Brel :

J'veux qu'on rie,
j'veux qu'on danse,
j'veux qu'on s'amuse comme des fous

J'veux qu'on rie,
j'veux qu'on danse,
quand c'est qu'on m'mettra dans l'trou

On comprend, maintenant, pourquoi les squelettes ont le sourire...

crane de squelette

Et surtout on comprend pourquoi il n'y a plus de joie de nos jours. (Raoul Vaneigem, je crois, remarque qu'il n'existe plus de musique joyeuse depuis le Moyen Age.) C'est parce qu'aujourd'hui, on ne meurt plus. La mort est obnubilée, exclue de notre champ de vision.

Mots-clés :  joie   mort   dialectique   absurde   sens   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
Boucle bouclée
Samedi 14 août 2010

Les vieux ressemblent aux enfants. Ils deviennent séniles, gagas, ils bavent, on leur met des couches, on les fait manger, ils n'ont plus de dents, et à la fin ils se recroquevillent dans la position du fœtus.

De même l'écriture, à la fin de sa vie, c'est-à-dire aujourd'hui, se met à ressembler à ce qu'elle était à sa naissance. Nous revenons au rébus, aux images, aux signes, aux émoticones. ?

D'ailleurs les émoticones sont singuliers (singulières ? je ne sais plus, et ça me fatigue) : ils ne permettent pas d'exprimer des idées. Seulement des émotions, des affects. Avant les émoticones, on a vu apparaître, dans la BD, toutes sortes de signes pour exprimer les émotions, comme ce point d'interrogation qui nous mettait, enfants, dans l'embarras, parce qu'on ne savait pas comment le lire, et on ne comprenait pas ce que ça voulait dire. Normal : ça ne veut rien dire.

Tintin et Milou

Mots-clés :  langage   histoire   mort   fin   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
Le langage de l'ennemi
Samedi 10 juillet 2010

Al-Qaida vient de lancer son premier magazine de propagande en anglais.

C'est peut-être un symptôme de la défaite de l'islamisme, si on suit l'argument de Slavoj Zizek : quand on commence à se défendre dans le langage de l'ennemi, celui-ci a virtuellement gagné la partie.

Zizek applique cet argument à la religion chrétienne, qui essaie désormais d'utiliser des arguments scientifiques pour se défendre.

Le cas d'Al-Qaida et de l'anglais est moins évident, car il s'agit là d'un langage plus superficiel que le langage scientifique. Je n'ai jamais été très convaincu par l'idée qu'une lange véhicule beaucoup de contenus intellectuels.

En revanche, cela signifie tout de même une ouverture, une forme d'universalité, ainsi qu'une volonté de communiquer, donc de se placer sur le terrain des idées. C'est aussi une forme de laxisme par rapport à l'intégrisme religieux, puisque c'est s'exprimer dans une autre langue que celle du Coran.

Mon opinion est que l'islamisme et les autres retours ou soubresauts des religions sont des chants du cygne : sentant leur disparition venir, ces religions libèrent toute leur puissance, dans un geste désespéré dont les attentats du 11 septembre sont le symbole.

11 septembre
Mots-clés :  langage   religion   islamisme   mort   histoire   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
Que veux-tu rater ?
Vendredi 25 juin 2010

Les stoïciens (Epictète, plus précisément) recommandaient de se poser la question suivante : Comment veux-tu mourir ? Dans quelle action veux-tu être surpris par la mort ?

Puisque de toute façon tu dois mourir, il faut bien que la mort te trouve en train de quelque chose, en train de labourer, de creuser, de vendre, d'être consul, d'avoir une indigestion ou un cours de ventre. Eh bien ! Dans quelle action veux-tu que la mort te trouve ? Je veux, pour ma part, que ce soit dans une occupation digne d'un homme, dans un acte de bienfaisance, dans un acte utile à tous, dans un acte noble.
Epictète, Entretiens, Livre IV, chap. X

Au lieu de se demander comment vivre, Epictète se demande comment mourir. Ce passage au négatif dans le domaine pratique est intéressant.

(Popper a fait la même chose dans le domaine théorique, et plus récemment Amartya Sen a fait la même chose dans le domaine éthique. Dans le premier cas, l'idée est que le faux est plus facile à établir que le vrai, ou plus exactement, que le particulier est plus facile à prouver que l'universel. Dans le deuxième cas, l'idée est que si on ne sait pas ce qui est juste, on sait au moins reconnaître (et se mettre d'accord sur) ce qui est injuste.)

Le principe d'Epictète peut-être transposé à un niveau un peu moins dramatique : face à un choix professionnel, au lieu de se demander ce que l'on aimerait réussir, on fera peut-être bien de se demander : Dans quelle entreprise suis-je prêt à échouer ? Quelle activité me passionne assez pour que je ne regrette pas d'y avoir engagé mes forces, même en cas d'échec ?

Ainsi, on sera toujours heureux. Et ça, c'est génial. :D

Mots-clés :  éthique   stoïcisme   négatif   échec   mort   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
Manger, plaisir de la résurrection
Jeudi 6 mai 2010

Pourquoi est-il si agréable de manger ?

En étudiant la philosophie j'ai appris qu'on pouvait répondre des tas de choses folles à ce genre de questions banales. En voici un exemple d'une telle investigation interprétatrice.

Pourquoi manger est si bon ? Voyons. Que se passe-t-il quand on mange ? D'abord, on tue. C'est violent. Oui, tout ce qu'on mange est vivant. Dans le meilleur des cas, c'est une partie conçue par la plante pour être mangée (exemple unique à ma connaissance : le fruit) donc on ne tue pas vraiment, mais quand même. Donc manger, c'est le plaisir de tuer (pulsion de mort).

Manger

Mais manger n'est pas seulement détruire (l'aliment), c'est aussi construire (notre corps). Donc manger est le plaisir de vivre (pulsion de vie). Finalement, voici : en mangeant se produit ce miracle : on en tue un pour en faire vivre un autre. La matière de l'un nourrit l'autre. Elle entre sous un autre rapport, elle revit dans un autre être. Finalement, manger est une résurrection. Le plaisir de manger est donc le plaisir de la résurrection.

Je ne sais pas si c'est ce qu'ont voulu symboliser les Pères de l'Eglise avec cette histoire d'ostie, métaphore du corps du Christ qu'on avale, brr, ça fait un peu cannibale. Peut-être.

Mots-clés :  manger   résurrection   plaisir   interprétation   christianisme   vie   mort   
Lien permanent
Afficher les commentaires (1 commentaire)
Ecrire un commentaire
Dernières possibilités avant le suicide
Jeudi 26 novembre 2009

L'autre jour, alors que les dieux me torturaient en m'envoyant toutes sortes de maux à la fois – maladies, tracas professionnels, problèmes d'appartement, etc. –, j'ai soudain pensé au suicide.

Et j'ai vu aussi toutes les possibilités intermédiaires, un peu comme on contemple un paysage depuis le sommet d'une montagne : le renoncement aux objectifs, la démission, le voyage dans le Sud, les vacances prolongées, l'épuisement de mes économies, l'orgie de litchies. Je pense même que si je devais vraiment me suicider, je prendrais quelques jours avant ça pour faire vraiment n'importe quoi, juste pour le plaisir de l'absurdité.

La conclusion paradoxale, c'est que voir ce paysage de possibilités se dérouler sous mes yeux, toutes ces étapes intermédiaires qui me séparaient encore, malgré tout, de l'abîme, fut drôlement réjouissant. Je prenais en réalité conscience de toutes ces contraintes que l'on s'impose à soi-même avec tant d'assiduité qu'on finit par les oublier. (Ici comme ailleurs la possibilité et la contrainte se révèlent simultanément...)

C'est peut-être de ce sentiment que veut parler Heidegger l'obscur quand il évoque la « joie vigoureuse » qui naît quand on est « authentique », c'est-à-dire quand on regarde enfin la mort, cette « possibilité la plus extrême », à l'aune de laquelle seule on peut jauger toutes les autres à leur juste valeur, dans les yeux.

Mots-clés :  mort   suicide   authenticité   existentialisme   possibilité   joie   
Lien permanent
Ecrire un commentaire
Philosophie alimentaire
Dimanche 25 janvier 2009

Il y a des végétariens qui le sont parce qu'il aiment les animaux et ne veulent pas leur faire de mal. (Ce qui est déjà paradoxal : j'ai un ami qui est plus cohérent : il déteste les animaux et c'est pour ça qu'il est végétarien.)

Mais pourquoi compatir avec les poulets et pas avec les salades ? Les salades aussi son des êtres vivants.

Je suppose que c'est une extension de la philosophie morale de Hume : je préfère ma famille à mes amis, mes amis à mes compatriotes, mes compatriotes au reste de l'humanité, l'humanité aux animaux, et les animaux aux végétaux... (A ce sujet, d'ailleurs, Lévi-Strauss voit dans le racisme le prolongement naturel de l'humanisme : on commence par mettre l'homme au-dessus des animaux et on finit par mettre une ethnie humaine au-dessus des autres.)

De plus, philosophiquement cela pose un problème, car on ne sait même pas distinguer l'animal du végétal. Une anémone de mer, par exemple, c'est un animal ou un végétal ? ;: Vous demanderez à votre prof de biologie.

[Arcimboldo]

J'en conclus qu'il faut pousser les choses plus loin. Allons au bout de notre idée consistant à ne pas faire de mal aux autres. Le problème, c'est que nous nous nourrissons exclusivement d'êtres vivants, si bien que « chaque créature est le tombeau vivant de mille autres », pour reprendre la magnifique et morbide formule de Schopenhauer, qu'on peut vaguement se représenter par une toile d'Arcimboldo.

Heureusement, la nature est bien faite : en réalité certaines choses sont faites pour être mangées : les fruits. Eh oui. Les fruits sont fabriqués par les plantes pour que nous, les animaux à pattes, on les bouffe, disséminant ainsi les graines. A partir de maintenant tous ceux qui mangent autre chose que des fruits sont des méchants.

Alimentaire, mon cher Watson.

Mots-clés :  manger   éthique   vie   mort   
Lien permanent
Ecrire un commentaire

Retour en haut de page

Contact       Fil RSS

Le Brin d'Herbe - Blog philosophique et politique