La gauche n'en est pas à une bataille d'arrière-garde près. La réforme du droit du travail portée par le gouvernement est ce dont nous avons besoin. Elle est même trop timide. L'avenir est dans la flexisécurité. Il faut comprendre une bonne fois pour toutes que nous pouvons protéger les hommes sans entraver l'économie.
Protéger les personnes, c'est un objectif noble et humaniste, et tout le monde gagne à cette protection-là.
Protéger les fonctions, c'est protéger les uns contre les autres : les travailleurs contre les chômeurs, les insiders contre les outsiders, les nantis contre les exclus. C'est la porte ouverte aux mafias, aux corporatismes et autres barrières à l'entrée qui nuisent au partage du travail et des richesses dont notre société a tant besoin.
Bref, quand on bascule de la protection des personnes à la protection des fonctions, la défense des acquis sociaux devient tout à coup défense des privilèges.
L'idée de rendre les parents responsables devant la loi des actes de leurs enfants me paraît bonne.
Parce que cela correspond à la réalité : ce sont les parents qui ont autorité sur leurs enfants, plus que l'Etat. Et aussi parce que l'idée d'une sanction étatique contre les enfants est déplaisante. Les parents sont en position de faire un travail bien meilleur, et bien plus efficace.
Toutefois, si on admet ce principe, il faudra aussi laisser la sphère privée libre : ou bien la responsabilité est aux parents, ou bien elle est à l'Etat, mais il faut choisir.
L'Etat devra alors éviter de mettre son nez dans la question du voile ou celle de la gifle...
C'était la pensée réactionnaire du jour.
Mais il faut être réactionnaire de temps en temps. C'est absolument nécessaire.
La question des droits d'auteurs sera tranchée par le fait : s'il devient trop facile de pirater les œuvres, alors elles deviendront nécessairement gratuites ; si au contraire il est possible de créer des œuvres efficacement protégées, alors on parviendra à les faire payer, et on ne s'en privera pas.
Car le droit, contrairement à ce qu'on est parfois enclin à penser, est souvent un simple entérinement des pratiques.
Exemple : Il serait illusoire de penser que le principe de fonctionnement des bibliothèques, couplé à la modernité, entraîne automatiquement la gratuité universelle de toutes les œuvres. (Il suffit que les bibliothèques se dotent d'un portail en ligne...) En réalité, ce que montre l'histoire actuelle, c'est que les bibliothèques n'ont été autorisées que parce qu'il y avait des contraintes matérielles à la diffusion des œuvres.
Le droit est donc en quelque sorte la description, la régularisation du fait. Et le plus étonnant, c'est que cet état de choses est juste. Car il consiste à laisser les hommes faire ce qu'ils peuvent. Le piratage est irrépressible ? Ok, on l'autorise. Il est possible de verrouiller un bien pour le commercialiser ? D'accord, l'achèteront ceux qui voudront.
En philosophie politique, on trouve de multiples fictions, comme le notait Yves-Charles Zarka dans Figures du pouvoir : l'état de nature pour les philosophes modernes (Hobbes, Spinoza, Locke, Rousseau) ; la fable des abeilles de Mandeville et la main invisible d'Adam Smith pour les économistes ; le voile d'ignorance pour John Rawls ; etc.
Sans complexe, après cette prestigieuse lignée je propose une nouvelle fiction : celle de la tribu, du village.
En effet, de nombreuses questions aujourd'hui sont rendues complexes et illisibles par la taille des société, qui déconnecte les hommes les uns des autres (c'est la fameuse déliquescence du lien social, ou la substitution d'une solidarité organique à la vieille solidarité mécanique, pour le dire dans les mots obscurs de Durkheim).
Prenons par exemple la question des droits d'auteur. Question philosophique complexe quand on raisonne abstraitement, dans la société moderne : comment rémunérer les chercheurs scientifiques, les artistes dont les œuvres sont piratées en ligne, les ingénieurs qui déposent des brevets, les laboratoires pharmaceutiques ?
Eh bien, imaginons une tribu. Cela permet de simplifier les choses et de les ramener à leur essence, à leur concept. Un homme invente un nouveau procédé qui permet de construire les maisons beaucoup plus vite. Pensez-vous qu'on lui versera des droits d'auteurs, autrement dit qu'une partie de la tribu se mettra à travailler gratuitement sous ses ordres ?
Je ne pense pas. Je pense qu'il sera adulé, mais qu'il n'aura pas un kopek.
D'où on peut tirer le principe politique suivant : le génie sera glorifié, mais non rémunéré. Les seuls droits d'auteurs seront symboliques, car les œuvres du génie sont elles-mêmes symboliques, et ne sauraient être appropriées... Il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. C'est aussi un point de vue marxiste : les œuvres du génie seront rémunérées au prix nécessaire pour nourrir le génie !
« On est pas des larbins. »
Phrase prononcée par un élève qui s'offusque de devoir mettre sa chaise sur sa table. Elève qui profite gratuitement, depuis son enfance, d'une école dont le coût important pèse sur l'ensemble de la société. Et qui, quand on lui demande de nettoyer sa propre crotte, vous dit qu'il n'est pas un larbin, avec une poignante indignation dans la voix.