Paradoxe : « Je t'aime bien » ou « Je t'aime beaucoup » est beaucoup moins fort que le simple « Je t'aime ».
Et cela alors même que les mots « bien » et « beaucoup » devraient accroître l'intensité du sentiment d'amour.
Mais justement : le fait même d'attribuer une intensité au sentiment le place dans la zone médiocre du mesurable, tandis que le simple et élégant « Je t'aime » plane, là-haut, dans le royaume de l'absolu.
Parmi les poncifs de la tradition philosophique qui dégoûtent durablement de la philosophie tant elles semblent, à première vue, évidemment fausses, il y a cette idée de la philosophie du XVIIe siècle (Descartes, etc.) : que les passions viennent du corps
Comme l'indique l'étymologie du mot, les passions seraient des états passifs, où l'âme subit le corps.
Cette idée semble fausse car il nous semble qu'à l'évidence de nombreuses passions, et même toutes, proviennent de notre esprit et de nos idées, sans même parler des passions qui nous semblent être des actions, comme la joie ou le désir intense...
Et pourtant, il y a peut-être une interprétation scabreuse à voir dans le petit fait suivant : une analyse phénoménologique (c'est-à-dire une écoute attentive) de ce qui se passe en nous lors d'une forte émotion révèle que les sentiments nous apparaissent bel et bien comme corporels. Ainsi un soudain chagrin d'amour ne s'abat pas tant sur notre âme elle-même que sur notre corps. Et l'amoureux transi, s'il regarde attentivement, s'apercevra avec étonnement que son chagrin se situe, par exemple, dans le haut du dos, où il pèse comme une douleur, et court le long de sa colonne vertébrale comme une étrange courbature...
Nos humeurs sont sans raison.
On le vérifie en mille occasions. Ainsi, quand soudain, dans la rue, monte en nous une joie inextinguible et irrépressible, nous éprouvons cette absurdité avec bonheur, et notre joie redouble de son irrationalité même, sa gratuité augmente sa beauté.
Mais l'inverse est également vrai, et c'est aussi sans raison que l'on souffre, même si on cherche alors de beaux et nobles prétextes à notre chagrin.
Et dans ce cas encore, prendre conscience de cet état de fait nous rendra plus heureux, cela atténuera notre tristesse. Nietzsche avait remarqué que le sens est un remède (le grand remède) à la souffrance. Mais l'absurde en est un aussi, et plus dionysiaque que l'autre.