Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Connais-toi toi-même ?
Jeudi 9 avril 2009

Dans un entretien entre Michel Onfray (philosophe hédoniste fondateur d'une université populaire à Caen) et Nicolas Sarkozy, un désaccord est apparu sur la question du « connais-toi toi-même », vieille injonction de la sagesse grecque antique reprise par Socrate et qui passe pour un des fondements de la philosophie occidentale :

N. S. : Disons que j'aime l'action davantage que la conquête. On n'agit pas pour un résultat. Vous me demandez qui je suis, pourquoi j'agis comme je le fais. Mais si je pouvais vous répondre… Savez-vous qui vous êtes, vous ?
M. O. : Oui. Je crois au « connais-toi toi-même ».
N. S. : Fort heureusement, une telle connaissance est impossible, elle est même presque absurde ! En mai 1993, dans l'affaire de la maternelle de Neuilly-sur-Seine, j'ai dû rentrer huit fois dans la classe pour négocier directement avec le preneur d'otages, « Human Bomb ». Et huit fois, j'ai eu peur de manière différente. Le plus courageux des hommes peut être lâche dans la minute d'après. Nous ne nous connaissons jamais complètement, car nous sommes sans cesse confrontés à des situations différentes et nous ignorons comment nous allons réagir.
M. O. : Au contraire, j'estime qu'il est possible de s'approcher peu à peu de la connaissance de soi-même puis, fort de ce savoir, d'exprimer ensuite son tempérament et son style.

Ce désaccord est intéressant. On peut y voir la différence entre l'intellectuel et l'homme d'action. L'homme politique, comme l'artiste, est un homme qui fait, mais sans savoir ce qu'il fait. Napoléon lui-même avouait ne pas connaître le véritable sens de ses actes.

A ce titre, je ne condamnerais pas le point de vue de Sarkozy, comme l'a fait Onfray par la suite. Au contraire c'est être lucide que de reconnaître que l'on ne se connaît pas soi-même ; et il y a de la naïveté dans l'idée qu'il faudrait d'abord se connaître soi-même pour pouvoir, ensuite, agir en fonction de ce que l'on est.

C'est aussi l'opposition entre le « point de vue de la conscience » (l'idée que l'on agit en fonction de nos représentations conscientes) et le « point de vue de l'inconscient » (l'idée que nos représentations conscientes ne sont qu'une expression de notre être, tout comme nos actes, et que bien souvent nos idées ne sont que des justifications trouvées après coup pour justifier nos actes).

Ce n'est pas la seule bizarrerie de la maxime grecque. On peut se demander s'il est possible de se connaître soi-même. Mais on peut aussi se demander si c'est nécessaire. Ne suffit-il pas d'être, d'agir directement en fonction de ce que l'on est ? A quoi bon cette médiation, ce rapport de soi à soi-même par la connaissance, comme dans un miroir ? C'est peut-être la racine la plus profonde de la « société du spectacle », ce monde dans lequel nous vivons et où « tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation »  (Guy Debord) : se connaître soi-même, c'est réduire son être à quelque chose de figé, de compréhensible et de connaissable... tout ça pour mieux maîtriser et contrôler sa vie.

Mots-clés :  éthique   soi   gestion   connaissance de soi   
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