Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

La fuite en avant
Jeudi 7 mai 2009

En escalade ou en alpinisme, il y a quelque chose de vraiment terrifiant et fou : la fuite en avant.

Escalade en falaise

Pour comprendre ce dont il s'agit il faut savoir ce qu'est l'escalade en tête (on dit aussi : en premier de cordée) : cela consiste à grimper le premier, attaché à une corde qu'on fait passer dans des mousquetons accrochés à la falaise ou à la glace. Un ami, plus bas, tient l'autre bout de la corde. Par conséquent, au plus les points d'assurance (pitons, broches à glace, coinceurs et autres) sont espacés, au plus la chute potentielle sera grande, donc dangereuse. Par exemple, si le dernier mousqueton est 3 mètres sous tes pieds, en cas de chute tu tomberas de 6 mètres, sans compter le mou de la corde et les éventuels problèmes exceptionnels.

Par conséquent, au plus le dernier point s'éloigne sous tes pieds, au plus tu fais attention à ce que tu fais, et au moins tu as envie de tomber (déjà qu'à la base tu n'as pas trop envie de tomber !)...

Si ça devient carrément trop difficile, tu peux essayer, pour éviter la chute, de redescendre (désescalader) jusqu'au dernier point pour t'y reposer.

Mais voilà, il se trouve que désescalader est plus difficile qu'escalader. Descendre est plus délicat que monter. Montaigne le disait déjà : « Je marche plus sûr à mont qu'à val. » Par conséquent, il arrive que l'on ne puisse pas redescendre. Or si on reste sur place, avec la fatigue on finira par tomber. Une solution est donc de tomber. Une autre solution est de continuer à monter : c'est la fuite en avant.

Ce qui fait tout le piquant de la fuite en avant, c'est l'incertitude : parfois on ne sait pas du tout ce qui nous attend. Peut-être y a-t-il au-dessus un passage extrêmement difficile, encore plus que celui que l'on vient de passer, et puis encore un autre, etc. La fuite en avant consiste donc à accepter une chute bien plus grave, mais incertaine, pour éviter une chute moins importante, mais certaine. Finalement c'est un coup de poker : quitte ou double. Il y a même des cas où c'est sa vie qu'on joue comme ça : on fait tapis en quelque sorte.

Bref, la fuite en avant c'est très amusant, très excitant, mais ça fait aussi très peur.

On retrouve ce phénomène un peu partout : non seulement au poker mais aussi, par exemple, dans le cas de l'énergie nucléaire : nous n'avons pas la solution pour traiter les déchets nucléaires, qui resteront sur les bras de nos descendants pendant des millions d'années (il y a de fortes chances pour qu'ils nous maudissent intensément ! mes oreilles sifflent déjà à l'idée des jugements qui seront portés sur notre génération). Pourquoi cette folie ? Parce qu'on suppose et on espère que grâce au progrès technologique, on trouvera la solution plus tard. Bref, pour éviter une difficulté limitée maintenant on accumule le problème pour plus tard, dans l'espoir qu'une solution miracle tombera du ciel technologique.

Allez : un autre exemple, juste pour voir à quoi mène la fuite en avant : la chaîne de Ponzi, escroquerie financière inaugurée par Charles Ponzi dans les années 1920 et remise au goût du jour par Bernard Madoff dans les années 1990-2000 : l'astuce consiste tout simplement à rémunérer des investisseurs à des taux très élevés ; ainsi de nouveaux investisseurs se présentent sans cesse, et on peut payer les anciens avec les nouveaux. Evidemment, le jour où il y a un reflux les investisseurs se rendent compte qu'ils ont été volés, et l'arnaqueur n'a plus qu'à se cacher.

Mots-clés :  métaphore   divers   
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