Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Technique et vérité
Dimanche 12 avril 2009

Au XXe siècle, on a beaucoup diagnostiqué « la fin de la philosophie », notamment par positivisme : on pensait, un peu comme Wittgenstein a pu le penser, que la philosophie allait se dissoudre dans la science et la logique (et l'analyse du langage).

Pourtant, il me semble au contraire que nous allons vers une époque de plus en plus philosophique, que les problèmes philosophiques seront de plus en plus présents concrètement dans la vie quotidienne.

Par exemple, le développement des moyens de communication, des ordinateurs, du monde virtuel soulève la question du réel : dans un monde où nous pouvons créer des êtres abstraits avec qui vivre des relations idéales, à quoi bon se coltiner le rugueux réel ? A quoi bon avoir des relations avec des êtres humains réels si nous pouvons créer des androïdes correspondant à nos idéaux ? Il faut imaginer cela : que demain nous serons des dieux, que tout sera possible. La femme ou l'homme de nos rêves sera là, à notre disposition, créé(e) par un ordinateur analysant notre cerveau et nos émotions en temps réel pour faire réagir cet être de la manière la plus agréable qui soit pour nous.

De même, avec le progrès technique la guerre et la violence sont en passe d'être éliminées, et dès demain nous vivrons dans un monde où la loi sera exécutée à la perfection par un système de surveillance généralisé. Ce sera donc un monde parfait : la loi sera appliquée à la perfection. Par conséquent l'homme sera mis face à lui-même, il devra se demander ce qu'il veut vraiment, car il pourra tout avoir.

Et c'est bien ce qu'il se produit d'une manière générale : en rendant tout possible, la technique pousse finalement l'homme à se demander ce qu'il veut, et aussi à s'auto-réguler (c'est ainsi que l'arme nucléaire a mis fin aux grandes guerres). « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme », disait Rabelais. On peut ajouter que la science, en nous donnant la technique et le pouvoir, nous oblige à acquérir la conscience. Avec le pouvoir entre les mains nous sommes forcés de devenir sages. Le pouvoir : non seulement la bombe, mais aussi nos enfants, la vie (via les manipulations génétiques), le monde (via l'environnement), peut-être un jour l'univers entier.

De même, le progrès technique, en libérant l'homme du travail, le condamne peu à peu à la liberté, à l'art et à la philosophie. Ah, qu'il était bon d'être esclave ! Mais voilà que le destin, c'est-à-dire l'histoire, nous jette dans la liberté. Ici comme ailleurs il faut renverser le christianisme : nous sommes chassés du monde et jetés dans le jardin d'Eden.

Adam et Eve chassés du paradis
Chagall, Adam et Eve chassés du paradis

Tout ceci peut sembler bien lointain, mais rien n'est plus actuel. Toutes ces évolutions sont déjà en route, et bien avancées. Chaque innovation technique, en ouvrant une nouvelle possibilité, nous rapproche de la vérité et soulève de nouvelles interrogations philosophiques.

Heidegger avait compris cela dès l'immédiat après-guerre : « la technique est le dévoilement de la vérité », disait-il, en entendant la technique au sens grec de technè, un concept qui inclut aussi l'art... Il faut comprendre qu'en manipulant la matière, en la triturant en tous sens comme on fait jouer les pièces d'un casse-tête, la vérité finit nécessairement par... éclater.

Mots-clés :  philosophie   histoire   
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