Le brin d'herbe

Blog philosophique et politique

Plus de feuilles que de fruits
Samedi 14 mars 2009

Le déterminisme scientifique aplatit tout. Il détruit toutes les différences. On se baigne tous dans le même fleuve éternel. Aucun événement, aucun phénomène ne se distingue car tous sont régis par la même loi universelle de la nature. Toutes les choses sont les mêmes, il n'y a pas de différence essentielle entre un homme et un caillou : tout est matière, tous ces nuages d'atomes obéissent aux mêmes lois.

Et pourtant, on constate sans cesse que l'ontologie est oligarchique, voire aristocratique. La vérité n'est pas donnée par les sondages. La vérité n'est pas le cas général. Le grand nombre a tort.

Bien au contraire, la vérité apparaît dans les moments exceptionnels, aux marges, en cas de crise : c'est quand l'outil se casse, quand la machine ne marche pas que mon projet apparaît (Heidegger) ; c'est dans la difficulté que s'éprouvent les vrais amis, comme la pièce d'or sous la molaire (contes médiévaux) ; c'est dans la crise économique qu'apparaît la réalité du monde capitaliste, et dans la crise sociale la réalité des rapports humains ; c'est dans l'état d'exception qu'apparaît la véritable nature de la loi (Agamben) ; c'est aux limites, aux points problématiques, que se révèle la nature d'une fonction mathématique ou d'une équation ; etc.

Bref, le cas général ment, parce que « la nature aime à se cacher » (Héraclite). Ce n'est que de manière exceptionnelle et ponctuelle que la vérité profonde des choses perce sous l'écorce rugueuse de l'apparence et de l'habitude. « De prime abord et le plus souvent », disait Heidegger, les choses n'apparaissent pas telles qu'elles sont vraiment.

On trouve également dans la philosophie médiévale l'étrange idée de « degrés de réalité » : comme si une chose pouvait être plus réelle qu'une autre ! ;;)

Mais cette idée peut se comprendre, même sans utiliser le concept vague et suspect de « perfection » : certaines entités, par exemple, ont davantage de puissance, elles jouent un rôle causal déterminant. Le cerveau dans le corps humain, la capitale dans le pays, la scène dans le spectacle, la télécommande dans la machine : à chaque fois le pouvoir, au sens très précis de causalité, se concentre dans une zone spatialement réduite. Cette zone a donc plus de réalité qu'une autre car l'avenir du monde est en quelque sorte contenu en elle.

On pourrait encore transposer cette structure à l'existence humaine : en général nous n'existons pas vraiment. Notre existence se concentre en quelques instants cruciaux, en quelques moments de vie intense, en ces quelques instants un peu miraculeux de « liberté » où nous prenons une décision. De même, au plan historique Hannah Arendt considère que la liberté advient, ponctuellement, au cours d'un événement particulier qui s'apparente à un « miracle ».

Pour un fait, pour une phrase de philosophe ou de poète, pour une œuvre d'art, il y a mille descriptions, mille représentations, mille commentaires. Et la grande majorité de ces discours eux-mêmes en viennent à porter, non sur la chose même, non sur le fait ou l'idée, mais sur l'enfance de l'artiste ou la reliure du livre, par une sorte de déplacement métonymique du regard. Un peu comme un amateur de fraises qui saliverait à la seule vue des feuilles de fraisier.

Bref, l'ontologie est oligarchique, l'être se concentre en quelques points particuliers. Je ne sais pas bien ce que signifie cette histoire. Pour l'instant je me contenterai de cette image : il y a plus de feuilles que de fruits... et les fruits sont souvent cachés par les feuilles.

Mots-clés :  métaphore   déterminisme   exception   hiérarchie   
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