La question de la perfection du monde est une question difficile.
En plaçant un Dieu bienfaisant à l'origine du monde, les religions veulent nous faire croire que le monde est parfait. C'est une vision kitsch, au sens de Kundera : négation de la merde. Et pourtant c'est bien cela que doit faire toute religion et même toute philosophie, tout discours qui n'invite pas au suicide : justifier le monde. Cela veut dire : justifier la souffrance. Aussi retrouve-t-on dans toute philosophie cette justification de la souffrance :
Il y a tout de même plus de beauté dans cette dernière version que dans les autres, je trouve, parce qu'elle est plus vraie. Tout comme la philosophie de Spinoza et de Victor Hugo, ce panthéisme qui embrasse la totalité de la nature du regard.
Pour Spinoza par exemple, la souffrance d'une créature est toujours le bonheur d'une autre. Donc du point de vue du tout il n'y a pas de souffrance, il n'y a pas de diminution de puissance, un peu comme en physique, un système fermé ne peut perdre d'énergie.
Et Victor Hugo : « Le beau n'a qu'un type ; le laid en a mille. Le beau s'accorde avec l'homme ; le laid s'accorde avec la création entière. » Les monstres grotesques et effrayants qui hantent les cathédrales moyenâgeuses expriment cette vision formidable de la nature.
Il faut souligner la différence entre cette vision et les autres, entre le panthéisme et les divers théismes. Pour le christianisme, le mal existe, mais il sera un jour puni, supprimé, résorbé, compensé ; alors que pour les panthéistes, c'est-à-dire les athées (« Dieu, c'est-à-dire la Nature », écrit Spinoza) le laid et le mal sont compensés immédiatement, donc ils n'existent pas vraiment, ils apparaissent seulement de notre petit point de vue, ils sont le résultat d'une perspective de grenouille sur le monde.
Finalement si on ajoute la schizophrénie des panthéistes (s'identifier à Dieu, ou du moins adopter son point de vue) et le taoïsme (pas de haut sans bas) on en vient à aimer la souffrance quand elle est là, et à sortir sans manteau en hiver. Et à apprécier l'ombre, y voyant le soleil.
Le monde est donc parfait ; mais non pas kitsch. C'est-à-dire qu'il est nécessaire.