Les femmes habillées d'une manière un peu élégante, excitante, sexy, se font régulièrement traiter de « putes » par des hommes au regard plein de haine et de mépris.
Ces hommes sont parfois traditionalistes et religieux, mais pas toujours : on trouve cette réaction dans toutes les cultures.
Je n'ai jamais compris cette réac'.
De mon point de vue naïf, au contraire, ces femmes sont merveilleuses, elles embellissent le monde et stimulent le désir. Il faudrait les remercier, les féliciter pour cela.
(Pour cette même raison je n'ai jamais vraiment pu comprendre les récriminations contre l'image de la femme que donne la publicité. Montrer le corps de la femme ne me semble pas honteux car le corps n'est pas inférieur à l'esprit. Cf. cet article de Rue89 et les commentaires qui l'accompagnent.)
D'où vient donc cette haine pour la beauté des femmes ?
De quoi a peur ce mâle ?
D'être trompé ? Que la femme lui échappe ?
Etrange affaire...
Deux catégories d'hommes ont souvent une longue barbe blanche (ou grise) : les sages et les clochards.
Si vous trouvez que l'homme est trop pessimiste, rassurez-vous : il l'est beaucoup moins.
En effet, tous les trop pessimistes ont disparu. Il ne reste que des gens qui ont renoncé au suicide et dont les ancêtres ont été assez optimistes pour faire des enfants.
Voici donc un argument ontologique en faveur des optimistes : le monde appartient aux optimistes.
Remarque : avec la contraception il est même possible que le processus s'accélère. Peut-être n'a-t-on fait des enfants, jusqu'à présent, qu'involontairement le plus souvent. La chute actuelle de la natalité plaide en ce sens. Il faut donc s'attendre à voir cet effet de sélection des optimistes jouer à plein avec la généralisation de la maîtrise de la natalité. D'habitude la technique stoppe l'évolution génétique (à partir du moment où l'homme a inventé le manteau, les moins poilus ne meurent plus, donc la pilosité de l'homme n'augmente pas). Dans ce cas précis c'est l'inverse.
Bon, pour que toute cette réflexion soit autre chose qu'une fantasmagorie vaguement distrayante il faudrait que l'optimisme soit transmissible génétiquement, bien entendu.
J'ai une question idiote :
Si la droite juge qu'il y a trop de violence et de délinquance, pourquoi ne durcit-elle pas la loi contre tous les délinquants au lieu de la durcir seulement contre les étrangers et assimilés, via des procédures de double peine, du type retrait de la nationalité ?
Cela ne serait peut-être pas beaucoup plus efficace (répondre à la violence par la violence n'est pas une méthode qui ait fait ses preuves, pour autant que je sache), mais ce serait certainement beaucoup moins nuisible (la stigmatisation de minorités a en revanche souvent eu des conséquences fâcheuses ou fascistes, pour autant que je sache).
La seule explication que je vois est : pour satisfaire une certaine frange de l'électorat, qui nourrit une haine irrationnelle et injustifiée pour les étrangers. (On peut haïr la violence, la délinquance, le vol et l'injustice ; mais il ne sera jamais rationnel d'exiger une peine plus sévère pour un homme sous prétexte qu'il appartient à telle ou telle minorité.)
Plus profondément, je me demande bien pour quelles raisons étranges il n'y a pas de droite qui soit sécuritaire sans être raciste. Cette interrogation rejoint une autre, plus mystérieuse encore : pourquoi n'y a-t-il pas (en France du moins) de gauche qui soit à la fois socialement progressiste et économiquement libérale ? Sans doute la simplification de l'échiquier politique en un clivage gauche-droite ne laisse-t-elle pas la place à de si grandes subtilités.
Il paraît que l'entraîneur de l'équipe de football de Corée du Nord risque les travaux forcés suite à la défaite de son équipe à la coupe du monde (7-0 contre le Portugal).
La France et la Corée du Nord sont les deux pays du monde où on ne plaisante pas avec le foot.
Encore un point commun entre l'Etat et Dieu : l'Etat, comme Dieu, n'existe que si on croit en lui.
(Exister signifie ici avoir des effets, fonctionner. Ni Dieu ni l'Etat n'existent réellement, bien entendu, pour le plus grand bonheur des athées, des anarchistes et autres voyous.)
Le refus du happy end est une démagogie inversée.
Aujourd'hui en effet, c'est non seulement le bonheur qui est politiquement incorrect, mais aussi le happy end.
Mais franchement, quel mal y a-t-il à s'accorder ce petit plaisir ? Un curieux raisonnement masochiste, lié à une mauvaise conscience généralisée, nous en empêche pourtant.
Le point de vue sur cette question dépend peut-être aussi de l'interprétation que l'on en fait : certes, si le happy end signifie que le monde est heureux, que la vie elle-même se termine bien, alors il est certainement douteux. Mais on peut aussi le voir comme un simple petit plaisir, qu'on s'accorde en art, justement par contraste avec le monde, et qui signifie un optimisme, une insouciance, bref l'envie de se moquer un peu du mal, qui est d'ailleurs si lourdaud.
La beauté ne se mange pas.
Le philosophe considère les faits comme des (manifestations de) théories, alors que le romancier considère les théories comme des faits.
La ville est laide car les hommes sont laids et la ville c'est les hommes.
Au fond le Bien et le Mal sont des concepts de guerre.
Nous n'en avons pas besoin.
L'action ne requiert que les concepts de Bon et de Mauvais.
Les concepts de Bien et de Mal sont utilisés par celui qui ne se contente pas d'agir, mais qui veut imposer son action aux autres.
Ce qui est merveilleux chez les écrivains, et plus généralement chez les artistes, c'est qu'ils vous foutent la paix. Contrairement aux philosophes ils ne jugent pas. Ils sont descriptifs et relativistes. Ils préfèrent la création à la critique. Faire plutôt que juger. Etendre le possible plutôt que le restreindre.
Certains penseurs ont été séduits par cette amoralité de l'art :
On pourrait objecter à tout ce raisonnement que le Bien et le Mal ne sont pas seulement des concepts de guerre, mais aussi des concepts politiques et par conséquent nécessaires. Mais la politique peut se passer de moralité. Le principe démocratique se distingue du principe moral, et si on le pousse jusqu'au bout, on peut arriver à l'idée que la morale doit rester une affaire privée, comme la religion. De sorte que l'objectif de la loi ne serait pas de déterminer le Bien, de nous pousser aux bons comportements, vertueux, mais simplement à assurer, techniquement pour ainsi dire (mais peut-être avec des moyens qui ne sont pas seulement mécaniques, mais aussi symboliques, psychologiques et affectifs), la vie en commun. Autrement dit, la seule morale dont la loi a besoin est celle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ».
Plus profondément, la grande difficulté qu'il y a à se passer de la morale, et donc à comprendre Nietzsche (dont l'idée centrale est de dépasser la morale), tient à la subtilité de la distinction entre le méchant et le mauvais, entre la morale et l'esthétique. Car l'esthétique, ça, il n'est pas question d'y renoncer !
Je reviens sur ce clochard qui détestait la nature, et s'énervait contre sa réintroduction en ville (en l'occurrence, un marché de plantes). Il n'aimait pas la verdure, il préférait le goudron et le béton. Pour lui, la nature est sale, le béton est propre.
Point de vue intéressant. En effet, la nature est sale, quand elle est chez l'homme (en ville ou dans une maison). Et pourtant, dans la nature, tout est sale mais rien n'est sale. Dans la nature il n'y a pas de poussière, par exemple (du moins pas telle qu'on la trouve dans les maisons).
Mais qu'est-ce que la saleté ?
Si on qualifie de sale tout ce qui n'est pas à sa place (de la terre est sale dans une chambre, mais pas dans un champ), alors notre clochard a raison : la nature, à la ville, est saleté.
C'est une conception intéressante de la saleté. Selon elle, certaines œuvres d'art, les ready-made notamment, sont des saletés, par définition, puisque le seul acte de l'artiste a consisté à déplacé une chose pour l'extraire de son lieu naturel.
Les films de science-fiction, avec leurs décors en plastique luisant, nous donnent une vision trompeuse du futur : car la technique n'éloigne pas l'homme de la nature, elle tend au contraire à l'en rapprocher. Elle y tend déjà, et elle y tendra de plus en plus.
Allez, des exemples, des images, des figures :
Le rêve de l'homme est de vivre tout naturellement dans la forêt, sans en ressentir les désagréments ; de dormir nu dans les champs sans se faire irriter par les herbes et piquer par les moustiques ; bref, de consommer une nature sans nature. Grâce à se progrès intellectuels et technologiques constants il se rapproche chaque jour de cet objectif.
Conclusion : les nouveaux matériaux ne nous feront pas vivre dans ces ghettos en plastique que nous montrent les films de science-fiction, ils nous permettront de vivre dans la nature.
Cela dit, les villes ont tout de même de l'avenir, car la concentration humaine aura toujours un intérêt spécifique. Mais elles aussi seront, probablement, de plus en plus naturelles, silencieuses, confortables.
Au grand dam de ce clochard que j'ai rencontré un jour. Il y avait là marché de plantes, et cet homme, qui détestait la nature, s'énervait contre l'évènement : « Qu'est-ce que c'est que toute cette saloperie, toutes ces plantes ? C'est la ville ici ! La nature doit rester à la campagne, ici c'est le goudron et le béton ! »
On entend souvent cette question :
« Comment écrire après Auschwitz ? »
Voici le raisonnement :
Quand l'homme se massacre méthodiquement, la recherche de la beauté est déplacée. Si la civilisation occidentale mène au chaos des guerres mondiales, elle doit être radicalement remise en question jusque dans son art : ainsi naquit Dada.
Et aujourd'hui encore, nombre d'œuvres sans beauté s'expliquent par ce raisonnement. Puisque la beauté est politiquement incorrecte, on fait souffrir le public, ça donne bonne conscience. Une bonne partie de l'art contemporain est la forme actuelle qu'a prise la très classique, quoique toujours élitiste, autoflagellation : pratique magique, symbolique, consistant à s'infliger une souffrance pour expier un acte qu'on se reproche et se donner ainsi bonne conscience.
Il y a une objection importante à tout ce cheminement de pensée, qui pourra être utile aux amants de la beauté frustrés par notre époque. La question était : « Comment écrire après Auschwitz ? » Mais ! Comme s'il avait fallu attendre Auschwitz pour découvrir que l'homme est ignoble ! On le savait déjà, et depuis une éternité. Cela n'a jamais empêché de rechercher la beauté, au contraire : elle était une sorte de remède. La seule nouveauté d'Auschwitz est technologique. Elle est dans le caractère massif et méthodique de l'ignominie. L'âme de l'homme, elle, n'a pas bougé d'un iota. L'Allemand du XXe siècle n'est pas plus mauvais que le Français du XXIe et en ce sens nous sommes tous nazis, nous le sommes depuis toujours.
A cette première analyse on peut ajouter cette autre : que change, au juste, une œuvre douloureuse à l'abjection humaine ? Elle ne fait qu'ajouter la laideur esthétique à la bassesse morale, l'horrible à l'ignoble. C'est là une manière de se donner bonne conscience à peu de frais. C'est aussi le signe d'une trouillarde incapacité à assumer le bonheur. La moraline chrétienne est toujours à l'œuvre, et le bonheur est politiquement incorrect.
Fort de ce raisonnement, on pourrait croire avoir balayé toutes les raisons qui sous-tendent la vacuité de l'art contemporain.
Mais malheureusement il y en a bien d'autres :
Bref, la mauvaise conscience est peut-être le principal prétexte de la laideur artistique, mais elle n'en est pas la seule cause. Cette laideur a donc encore de beaux jours devant elle.
Curieuse tendance que celle à l'amincissement des modèles.
Certains philosophes y ont vu un désir de l'enfance et de la jeunesse éternelle, spécifique au jeunisme de notre époque peterpanesque.
Je propose une autre hypothèse : le désir est manque, et chaque époque rêve ce qui lui fait défaut. Hier on mourrait de faim, alors les Vénus étaient replètes. Aujourd'hui on est obèse, alors les mannequins s'affinent.
Al-Qaida vient de lancer son premier magazine de propagande en anglais.
C'est peut-être un symptôme de la défaite de l'islamisme, si on suit l'argument de Slavoj Zizek : quand on commence à se défendre dans le langage de l'ennemi, celui-ci a virtuellement gagné la partie.
Zizek applique cet argument à la religion chrétienne, qui essaie désormais d'utiliser des arguments scientifiques pour se défendre.
Le cas d'Al-Qaida et de l'anglais est moins évident, car il s'agit là d'un langage plus superficiel que le langage scientifique. Je n'ai jamais été très convaincu par l'idée qu'une lange véhicule beaucoup de contenus intellectuels.
En revanche, cela signifie tout de même une ouverture, une forme d'universalité, ainsi qu'une volonté de communiquer, donc de se placer sur le terrain des idées. C'est aussi une forme de laxisme par rapport à l'intégrisme religieux, puisque c'est s'exprimer dans une autre langue que celle du Coran.
Mon opinion est que l'islamisme et les autres retours ou soubresauts des religions sont des chants du cygne : sentant leur disparition venir, ces religions libèrent toute leur puissance, dans un geste désespéré dont les attentats du 11 septembre sont le symbole.
Jean Cocteau a dit :
« Ce que le public te reproche,
cultive-le, c'est toi. »
A condition, bien sûr, que cette partie de toi en vaille la peine.
Finalement on a
du café sans café (café décaféiné)
du sucre sans sucre (sucre allégé)
du fromage sans fromage (fromage sans matière grasse)
du sexe sans sexe (sexe virtuel sur internet)
de l'action sans action (jeux vidéos)
des amis sans amis (relations à distance).
De chaque chose on retire la part obscure pour ne garder, grâce au progrès technologique, que ce qui nous intéresse.
Cette part obscure, non désirée, extrinsèque, inconnue, étrange et rebutante, que l'on essaie de cacher, d'ignorer ou de supprimer, c'est le réel.
Ce qui est à l'œuvre ici est une tendance naturelle : la tendance à tout vouloir contrôler. Sécurité maximale.
Mais ce qui apparaît, c'est qu'à vouloir supprimer l'imprévu, on s'emmerde ferme.
Pour vivre il faut se mettre un peu en danger, il faut laisser une place à l'extérieur, à l'étranger, au Grand Autre. Certes, il est plus confortable et sécurisant de ne pas le faire. Mais le confort, c'est la mort.
Allez, une fois n'est pas coutume, voici un post vraiment utile.
Il s'agit de dénoncer un scandale absolu :
Il n'y a pas de redistribution
aujourd'hui en France.
En voici la preuve :
Finalement :
Pronostic : l'économie ne tiendra pas ainsi, surtout quand on connaît l'explosion des inégalités (donc la nécessité redoublée de les atténuer par une répartition plus juste). Il va falloir redistribuer ou exploser.
Les Grecs, inventeurs de Narcisse, sont décidément très modernes. Le gnothi seauton est d'une actualité omniprésente, brûlante, hebdomadaire. C'est simple, il est devenu notre objectif principal.
D'où la nécessité d'un petit correctif à la maxime grecque. Je propose de graver, au marteau et au burin, quelques mots de plus sous l'inscription du temple de Delphes, afin d'obtenir le message suivant :
Connais-toi toi-même.
Mais ne passe pas non plus la journée à te regarder le nombril.
Mais à vrai dire les Grecs eux-mêmes avaient prévu cet excès, qu'ils ont cherché à prévenir non seulement par le mythe de Narcisse mais aussi par leur autre célèbre maxime :
Rien de trop.
Publicité :
« Si vous achetez le superflu,
on vous offre le nécessaire. »
S'il y a une interrogation grecque à laquelle je ne pigeais rien, c'est bien celle sur l'Un et le Multiple.
Aujourd'hui j'ai le bonheur de commencer à démêler quelques fils de cet écheveau-là.
Car les deux idées sont vraies : le monde est à la fois un et multiple. En un sens il n'y a qu'une seule chose (un seul monde), un un sens il y a plusieurs choses (plusieurs parties). Cette remarque à première vue banale est lourde de ramifications profondes et de conséquences étonnantes.
Pour résumer, en oubliant certainement beaucoup de choses, on peut voir dans l'Un le sentiment religieux, protecteur (tu ne meurs pas, tu fais partie du Tout), et dans le Multiple la différence et la relativité fondamentale de toutes choses, toujours épatante pour ce moi qui prend son cas pour une généralité.
Bref, l'Un console l'esclave ou le faible en lui montrant qu'il fait partie du grand Tout ; le Multiple calme les excès du maître ou du fort, il tempère son orgueil ou sa volonté de tout régir en lui rappelant qu'il y a des êtres différents, étrangers à sa loi et à ses valeurs.
J'aime beaucoup les métaphores. Et c'est pourquoi je m'interroge depuis longtemps sur ce qui fait leur saveur si particulière.
J'avais déjà relevé les éléments suivants :
Mais je crois avoir manqué un aspect essentiel : la métaphore, en faisant apparaître la similitude entre des choses différentes, nous fait aussi comprendre, et même éprouver, l'unité du monde.
Ce sentiment de l'unité des choses est un grand sentiment mystique et philosophique, que nous trouvons par exemple chez Spinoza. Et pour le pasticher on pourrait donc dire que par la métaphore, nous sentons et nous expérimentons que tout est un.
Allez, quelques exemples, car une théorie n'est rien sans ses exemples :
En fait ces métaphores ne sont pas les meilleures pour montrer ce dont je parle. On le verra peut-être mieux en songeant aux métaphores des poètes et des philosophes qui symbolisent une vaste idée, aux significations et déclinaisons multiples. Par exemple cette phrase de Héraclite : « la nature aime à se cacher ». Parle-t-il des lapins qui détalent ? Des fruits rouges tapis sous les feuilles vertes ? Ou des feuilles de vigne et de figuier, qui cachent un autre genre de fruit, révélateur incontrôlable de la nature humaine ?
Bref, il y a des métaphores ou des pensées qui déchirent le voile de Maya... (Le voile de Maya est l'illusion qui nous fait croire à l'individuation et à la séparation des êtres.)
Je reviens un instant sur cette réflexion sur le plaisir du néant.
Oui, la paresse est le contraire de l'ennui.
Car tandis que l'ennui consiste à souffrir du néant, la paresse consiste à en jouir.
Mais c'est là une manière poétique de parler. En vérité, à y regarder de plus près, l'ennui est plutôt un rapport au désir, comme l'a vu Schopenhauer (qui considérait l'ennui comme le désir de désirer). En fait, il y a deux sortes d'ennui : l'ennui lié à l'impossibilité d'agir (quand on attend un train), et qui ressemble à de l'impatience ; et l'ennui qui survient de soi-même, quand rien ne nous fait envie (la douloureuse absence de désir dont parle Schopenhauer). Dans les deux cas on souffre de l'impossibilité de désirer et d'agir, mais dans le premier cas l'entrave est hors de nous alors que dans le second cas elle est en nous.
Eh bien, la paresse aussi, je crois, est un rapport au désir. Elle est le plaisir de ne pas désirer. La paresse ne peut survenir que chez l'homme satisfait. Il faut être comblé pour se réjouir de la perspective d'une après-midi à ne rien faire du tout. Ce sentiment survient souvent après l'amour, quand on savoure le simple fait d'exister, allongé, sans ressentir le moins du monde le besoin exotique de faire quelque chose. Nous n'avons alors pas besoin de nous agiter pour nous sentir exister, car nous nous sentons déjà exister sans rien faire. C'est la plénitude.
Cette beauté de la paresse a été occultée par le dénigrement moralisateur dont elle a fait l'objet.
D'ailleurs il est significatif que ce qui nous tire le plus sûrement des affres de l'ennui est aussi ce qui nous fait accéder aux délices de la paresse : la femme.
Dire que la paresse est le contraire de l'ennui nous permet aussi de comprendre leur proximité, leur air de famille : car les contraires se ressemblent souvent.
On n'est pas ce qu'on mange, on est ce qu'on fait.
La preuve, c'est la différence entre la sauterelle et la vache, qui mangent pourtant la même chose.
A dire aux femmes qui pensent que leur santé et leur beauté dépendent exclusivement de ce qu'elles mangent, et non de leur activité et de leur bonheur.
(D'ailleurs ce qu'on mange dépend de notre activité et de notre bonheur.)
Je reviens sur un point source de très nombreux débats.
Quand on avance des solutions écologiques comme la taxe carbone, on entend souvent cet argument : « c'est injuste, car si on fait payer la pollution aux pollueurs, les riches pourront continuer à polluer, mais pas les pauvres ». Il y a des variantes multiples, mais l'idée est toujours la même.
Mais il faut séparer les problèmes si on veut les traiter adéquatement et justement.
Les deux aspects doivent être traités séparément. Il est vrai que la prise en compte de la pollution nous appauvrira inéluctablement collectivement (encore qu'en termes réels, s'obliger à polluer moins constitue un enrichissement), mais cela ne doit pas nous amener à la confusion des mécanismes, car une telle confusion est pleine d'effets pervers :
On retrouve se problème quand des mesures s'empilent, par exemple une aide sociale (chômage ou RMI), plus une aide au logement, plus des transports gratuits, etc. Si on aide une première fois les pauvres, pourquoi les aider ensuite encore sur chaque consommation ? Si l'aide initialement donnée est insuffisante, il faudrait plutôt l'augmenter directement, cela pousserait à davantage de rationalité et d'économie (car une aide en nature pousse à la consommation).
Notez que je pourrais prendre un exemple, plus original, de l'autre côté, avec les multiples niches fiscales concernant les riches, qui s'ajoutent également les unes aux autres. Si on fait payer les riches, avec limpôt sur le revenu, pourquoi annuler ensuite cette nécessaire redistribution par de multiples cadeaux fiscaux ? Sans parler des multiples avantages dont bénéficient les riches, notamment à travers leur entreprise. Mais en France on adore les privilèges, que ce soit pour les riches ou pour les pauvres.
Cet argument de la séparation des problèmes s'applique à d'autres cas que l'écologie. En particulier on peut aussi l'appliquer à l'efficacité en général (et pas seulement écologique).
Ainsi, plutôt que d'entraver le marché du travail par d'absurdes contraintes (comme l'interdiction du licenciement) qui protège un travailleur (peu efficace) contre un sans-emploi (potentiellement plus efficace), il vaudrait mieux procéder ainsi :
Ici encore les effets pervers sont innombrables quand on se laisse aller à la confusion, à l'inadéquation et au gaspillage. Je me contenterai de citer Zoé Shepard, que je félicite ici pour son courage, tout en soulignant comme d'autres que le problème qu'elle soulève se retrouve ailleurs...
Bref : au lieu de protéger les travailleurs contre les sans-emploi, on ferait mieux de protéger les sans-emploi.
Conclusion : je remarque donc une grande proximité entre le problème écologique et le problème plus général, mais lié, de l'efficacité économique. Il faut traiter ces problèmes séparément du problème social, et traiter le problème social en une seule fois pour davantage de simplicité, de transparence et de justice.
(Les autres problèmes aussi doivent être, dans la mesure du possible, traités en une seule fois : c'est l'intérêt de la taxe carbone, avec une seule mesure qui se répercute automatiquement partout.)
« C'est plus compliqué que cela. »
« Vous simplifiez à l'extrême. »
« Je ne peux pas vous dévoiler ma pensée en un instant. C'est un long cheminement qui demande nécessairement du temps. »
Voilà des jugements que l'on entend régulièrement dans les bouches intellectuelles.
Mais les choses sont-elles vraiment si compliquées ?
Je remarque deux faits : premièrement, l'intellectuel a un intérêt à ce que les choses soient compliquées. Si les choses étaient simples, il n'aurait aucune utilité. On pourrait se passer de lui.
Deuxièmement, la simplification est au moins aussi intéressante que la complexification. La synthèse est au moins aussi importante que l'analyse. Il faut évidemment aller dans les détails, et distinguer. Mais il est tout aussi essentiel de savoir, in fine, ramener les théories à leurs conclusions, les mettre face à leurs responsabilités en quelque sorte.
Peut-être insistera-t-on davantage sur l'un ou l'autre aspect (analyse ou synthèse) selon que l'on s'intéresse plutôt à la méthode ou au système. La méthode, c'est-à-dire la réflexion pour elle-même, la question pour le plaisir de la question ; le système, c'est-à-dire au contraire le résultat, la réflexion pour les conséquences théoriques et pratiques qu'elle produit (éventuellement).
Quoi qu'il en soit je remarque qu'un grand nombre de choses sont compliquées uniquement parce qu'elles sont terriblement mal expliquées. Je suis même prêt à soutenir qu'aucune théorie philosophique n'est compliquée.
(Mais je ne saurais pas expliquer simplement pourquoi. )
On aurait pu croire naïvement qu'avec la diminution du temps de travail l'homme se calmerait, qu'il serait de plus en plus tranquille et satisfait de sa condition.
Mais c'est tout le contraire qui se produit : l'homme a de plus en plus de temps pour tourner en rond, envier les autres et se perdre en querelles hystériques. C'est ainsi qu'au plus notre condition s'améliore, au plus elle nous paraît insupportable.
Tocqueville avait identifié cette étrange conséquence de la tendance à l'égalisation des conditions. Le ressort psychologique réside peut-être dans ce besoin frénétique de divertissement qu'avait diagnostiqué Pascal : l'homme n'est pas capable de rester en place.
Pour être optimiste, on peut toujours se dire que cette agitation est un moteur du progrès.
A l'heure où il est question de commercialisé un saumon génétiquement modifié, voici un argument léger pour un grave sujet.
J'ai vu récemment une publicité pour une pastèque sans pépins (laquelle a été produite, comme les raisins et d'autres fruits, par sélection naturelle et sans modification génétique directe). Eh bien, il se trouve qu'une tranche de pastèque sans pépins, ce n'est pas beau.
Et cet argument me décide à continuer à manger des pastèques avec pépins. (Il y aurait même un autre argument, que j'ai déjà évoqué, qui selon lequel il n'est permis de manger que les fruits à graine : c'est de considérer l'intérêt de la plante, qui produit des fruits pour disséminer ses graines et se reproduire ainsi...)
Le critère esthétique est décidément souvent utile.
Je sens que nous évoluons inéluctablement vers un monde monstrueux (avec des aliments OGM, des ordinateurs biologiques, des cultures d'organes et de sang, des générateurs d'électricité végétaux) et une exploitation toujours plus sophistiquée de la vie. Dans ce monde il sera de plus en plus difficile de justifier notre conservatisme, notre attachement au passé, à la nature, aux simples choses comme elles étaient, au réel avec sa part d'imperfection (Zizek évoque tous ces nouveaux produits vidés de leur substance : café décaféiné, fromage sans gras, sucre allégé (sucre sans sucre), sexe virtuel (sexe sans sexe), etc.).
Toute la question est de savoir ce qui va se passer. Ou bien le monde deviendra monstrueux (j'emploie ce terme au sens strict, sans connotation négative), ou bien un très fort argument conservateur (j'emploie aussi ce terme de manière neutre) émergera pour nous pousser à freiner cette exploitation monstrueuse de la vie.
En attendant, quand j'entends parler de ces monstres j'ai envie d'aller manger le fruit le plus sauvage et le plus tordu qui soit, caché au fin fond d'une forêt. Je remarque d'ailleurs que ces fruits sont souvent extrêmement goûtus, et que le goût est souvent en fonction inverse de l'apparence (qu'on songe aux petites fraises sauvages). Sans doute que tout se paie et que chaque nouvelle technique nous fait perdre autant qu'elle nous fait gagner. J'ai parfois l'impression que le même argument vaut dans le domaine énergétique, et que chaque nouvelle technologie, plus « propre », induit une saleté plus concentrée mais plus coriace, plus dangereuse. Que l'on compare par exemple la vieille craie, qui salit copieusement les mains, avec les nouveaux feutres et leur encre chimique.
L'idée que l'on perd toujours autant que l'on gagne, voilà une loi de Murphy qui me semble d'ailleurs assez crédible du fait que des lois du même style ont été établies en physique (notamment la loi de la croissance de l'entropie, liée à la loi de conservation de l'énergie et à la fameuse formule : rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme).
Affaire à suivre...
Pour ce qui est des OGM, je ne suis pas convaincu de leur nocivité, mais je propose la position suivante (outre l'argument esthétique, non négligeable, mentionné plus haut) : nous n'en avons pas besoin. Nous pouvons nourrir l'humanité sans cela. Et même si les risques ne sont pas clairement identifiés, le principe de précaution devrait nous inciter à la plus grande prudence, comme pour la question du réchauffement climatique.
« Crier n'est pas un argument. »
Les stoïciens (Epictète, plus précisément) recommandaient de se poser la question suivante : Comment veux-tu mourir ? Dans quelle action veux-tu être surpris par la mort ?
Au lieu de se demander comment vivre, Epictète se demande comment mourir. Ce passage au négatif dans le domaine pratique est intéressant.
(Popper a fait la même chose dans le domaine théorique, et plus récemment Amartya Sen a fait la même chose dans le domaine éthique. Dans le premier cas, l'idée est que le faux est plus facile à établir que le vrai, ou plus exactement, que le particulier est plus facile à prouver que l'universel. Dans le deuxième cas, l'idée est que si on ne sait pas ce qui est juste, on sait au moins reconnaître (et se mettre d'accord sur) ce qui est injuste.)
Le principe d'Epictète peut-être transposé à un niveau un peu moins dramatique : face à un choix professionnel, au lieu de se demander ce que l'on aimerait réussir, on fera peut-être bien de se demander : Dans quelle entreprise suis-je prêt à échouer ? Quelle activité me passionne assez pour que je ne regrette pas d'y avoir engagé mes forces, même en cas d'échec ?
Ainsi, on sera toujours heureux. Et ça, c'est génial.
Enfant, on fait des cauchemars. On est terrorisé par les monstres qu'on imagine sous son lit.
Il arrive qu'on s'en sorte de la façon suivante : un jour on n'y croit plus, et on se moque d'eux. On les appelle, on les défie, tous ces monstres invisibles, et ils ne viennent pas. Alors on comprend avec joie qu'on est plus fort qu'eux, qu'ils n'existent pas.
Dans une maison hantée, le plus sûr remède à l'angoisse reste de défier, de provoquer ainsi les fantômes. C'est le paradoxe du fantôme : il n'existe que parce qu'on a peur de lui.
Conclusion : les fantômes existent bel et bien. Il y en a un même une grande variété d'espèces. Mais tous peuvent être anéantis par la même méthode.
Bon, le message est clair. Si la France a perdu, c'est à cause des racailles indisciplinées qui gangrènent le pays.
La Fédé et les entraîneurs pourris, eux, n'y sont pour rien.
Le seul cas où la grève n'est pas tolérée, en France, c'est dans le foot.
On déconne pas avec les choses sérieuses.
Le seul problème économique significatif, aujourd'hui en France, est celui du chômage. Pour le reste, nous n'avons jamais été aussi riches, y compris les plus pauvres d'entre nous.
Ce problème du chômage s'explique, je crois, par les gains de productivité réalisés depuis deux siècles qui ont fait exploser la richesse et diminuer le temps de travail.
(Le meilleur indicateur, à ce sujet, par-delà taux de chômage et autres agrégats flous, est le nombre d'heures travaillées total rapporté à la population totale, soit le nombre moyen d'heures de travail par personne. Ce chiffre passe de 1007 heures en 1955 à 649 heures en 2008, selon les données de l'INSEE disponibles sur cette page.)
Compte tenu de cette tendance historique de fond, le seul moyen de lutter contre le chômage est de parvenir à partager le travail (donc les richesses), c'est-à-dire à répartir la baisse du temps de travail équitablement entre les individus.
Ce point me semble incontestable. Mais la grande difficulté est de savoir comment y parvenir. On peut évoquer les pistes suivantes :
Seule cette troisième solution me paraît satisfaisante d'un point de vue théorique, et c'est pourquoi je l'ai déjà défendue ici. En effet elle seule touche véritablement à la structure de l'économie.
Mais la grande question est de savoir comment redistribuer ?
On peut certes augmenter les tranches supérieures de l'impôt sur le revenu (et supprimer les niches fiscales !) et verser ces sommes aux plus pauvres, à proportion de leur pauvreté (impôt sur le revenu « négatif »). Cette mesure pourrait d'ailleurs remplacer tous les autres dispositifs (RSA, chômage, aides au logement, etc.) dans un but de simplicité. Mais elle risque d'entraîner les effets pervers classiques liés à toute aide directe (cf. la critique de l'assistanat).
Par conséquent, j'en viens à penser que la meilleure manière de redistribuer serait de faire en sorte que les riches partagent naturellement, par le jeu du marché, leur richesse. Cela est possible, dans un nombre significatif de cas, en brisant les « barrières à l'entrée » qui protègent d'innombrables fonctions nobiliaires. Ainsi une distribution plus équitable des ressources rendrait la redistribution inutile.
Bon, il y a aussi quelque chose à faire du côté du capital, qui s'arroge une part croissante de la valeur produite par le travail. Mais c'est une autre paire de manches.
Il existe un argument purement philosophique permettant de tester la justice d'une loi.
C'est que la justice est nécessairement belle, harmonieuse.
Donc les lois humaines doivent avoir la même forme que les lois naturelles. Mathématiquement, celles-ci sont souvent données par des fonctions « naturelles », fondamentales (comme la fonction exponentielle) dont l'allure est douce et élégante, sans accroc.
Bon, ceci est une considération d'esthète. On pourra s'estimer heureux si la courbe humaine approche d'une courbe naturelle, comme la courbe ci-dessous, qui indique le montant de l'impôt sur le revenu pour une personne seule, en France, en 2006 (montants en milliers d'euros) :
Cela dit, l'expression de la fonction naturelle en jeu ici serait peut-être tout aussi simple à comprendre pour le quidam que l'affreux système de paliers qui sous-tend la construction de cette courbe cassée... et ne négligeons jamais la vertu de la simplicité !
La justice est une question mathématique... L'équation de la justice existe, à nous de la trouver.
Le problème est simple : des pollutions, des activités nuisibles existent.
(Consommation de pétrole qui émet du CO2 dans l'atmosphère ; surexploitation des océans ; électricité nucléaire et déchets quasi éternels ; tabac causant des cancers ; aliments excessivement gras causant de l'obésité ; etc.)
La première solution venant à l'esprit serait d'interdire les activités nuisibles. On ne pêche plus de poisson (ou on applique des quotas), on ne brûle plus de pétrole, on ne fume plus, etc.
Mais cette solution est difficile à appliquer. Parce qu'il y a de l'inertie. Parce que les hommes ne veulent pas. C'est donc politiquement difficile. Et de toute façon, une interdiction brutale du jour au lendemain manquerait de souplesse.
Mais il existe une autre solution, très simple également : faire payer les nuisibles à hauteur de leur nuisance . C'est le principe du pollueur-payeur. Que chacun balaie devant sa porte, que chacun nettoie sa merde, ou du moins paie pour elle.
Il s'agit donc de taxer, à la source, toutes les activités polluantes à proportion de leur pollution. Ce qui signifie, dans un grand nombre de cas, de taxer les quantités de matières nocives consommées, qu'il s'agisse de ressources naturelles abusivement exploitées (pétrole, poisson) ou non (alccol, tabac, graisse).
Les avantages de cette méthode sur l'autre sont multiples :
On pourrait appeler ce système le libéralisme écologique, ou plus exactement le libéralisme encadré, car il consiste à combiner l'efficacité du marché (avec, notamment, les prix comme meilleur indicateur possible de l'information) avec l'application d'un encadrement fiscal soigneusement défini par l'Etat, donc par la volonté politique.
C'est le libre jeu du marché, mais avec des règles soigneusement définies par l'Etat.
Bref : Mieux vaut taxer qu'interdire.
Régulièrement, les quotas sur les poissons (comme en ce moment sur le thon rouge) suscitent de nombreux problèmes liés à la difficulté de les faire respecter.
Ce problème pourrait être résolu par l'application d'une taxe, qui a plusieurs avantages importants sur les quotas :
Je ne vois pas beaucoup d'arguments en faveur du quota, sauf peut-être la volonté de préserver différents foyers géographiques de population de poisson, ce qui est certes un argument valable. Une taxe pourrait parvenir au même but, mais en s'alignant sur le niveau nécessaire pour préserver le foyer en question ; ou, mieux, en taxant différemment la ressource naturelle selon son origine, appliquant à chaque fois un niveau de taxe permettant d'ajuster au mieux le niveau de prélèvement.
Plus généralement, la taxe a peut-être l'inconvénient d'être plus délicate à manipuler (quel montant de taxe assurera le niveau de prélèvement souhaité ?) mais elle présente un immense avantage de justice économique, en faisant supporter aux activités nuisibles le coût de leur nuisance. Cette justice économique va ici de pair avec une plus grande efficacité (financière) pour traiter le problème.
A Paris, la journée, les gens sont pressés, austères, en costard, guindés, chaussés de lunettes, rigides, froids.
Le soir, une tout autre population se déverse dans les rues : ondulante, gesticulante, extrêmement fun et branchée et cool. Les gens ont les vêtements et les cheveux multicolores, ils sont exubérants, c'est génial.
Mais ce qui est dingue, c'est que ce sont les mêmes gens.
Quand j'étais enfant, et qu'il y avait un fruit ou un gâteau à partager avec mes frères et sœurs, nous avions une règle magique, salomonienne, qui apaisait miraculeusement les conflits :
« Qui coupe ne choisit pas. »
Ainsi, il n'y avait aucune dispute, pas même pour savoir qui couperait. Car avoir le privilège de couper, c'était renoncer à celui de choisir. Mieux, l'intérêt du coupeur était de faire des parts aussi égales que possibles, car il savait bien que l'autre prendrait la plus grosse. Enfin, celui qui coupait ne pouvait contester que l'autre prenne ensuite la part de son choix : il était censé avoir coupé des parts égales, et ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même en cas d'inégalité.
Au plus je médite cette simple petite loi, au plus je la trouve merveilleuse.
On retrouve son noble équivalent, en philosophie, dans le « voile d'ignorance » imaginé par John Rawls, philosophe américain ayant élaboré une importante théorie de la justice en 1970, et qui imagine (à titre de fiction censée guider la réflexion, Gedanken experiment) quelles règles de justice nous choisirions si nous ignorions les places que nous occuperons ensuite dans la société...
Plus généralement, on peut tirer de cet exemple de la banane (c'était typiquement des bananes que nous partagions ainsi) l'idée suivante : partout où on peut instaurer des dispositifs de justice, c'est-à-dire des mécanismes, des fonctionnements, des agencements qui poussent les individus à chercher automatiquement la situation la plus juste, il faut le faire, et cela peut remplacer avantageusement les règles générales et abstraites du droit, toujours délicates à appliquer en situation, et dont la complexité est source de mille problèmes (cf. cet éloge de la simplicité sur un autre post).
Si ces dispositifs pouvaient remplacer tout à fait le jargon juridique, peut-être la société ne s'en porterait-elle pas plus mal...
Il y a dans le livre de Jeremy Rifkin, La Fin du travail, une pirouette amusante que je ne peux m'empêcher de livrer ici, ne serait-ce que pour son esthétique.
Smith pensait que par la magie du libre marché, les intérêts individuels font l'intérêt général. Rifkin nous rappelle que le contraire est également vrai : se mettre au service des autres rend heureux, peut-être plus sûrement que ne le fait la recherche égoïste du bonheur :
Décidément, tout est bon, le monde est bien joli, c'est merveilleux.
Toutes les magies sont dans la nature... humaine.
Bon, certes, tous les vices aussi.
En lisant Pour sauver la planète, sortez du capitalisme de Hervé Kempf (celui-ci refuse expressément de dissocier le problème écologique du problème social, et je consacrerai peut-être un post à réfuter ses arguments car je pense au contraire qu'il faut séparer ces deux problèmes pour traiter chacun de la manière la plus adéquate possible), je suis tombé sur cette image sympathique de l'opposition entre le landau et la poussette :
Le curieux examinera donc deux produits [...], datés l'un de 1970 c'est un landau , l'autre de 1997 c'est une poussette. Le landau enveloppe l'enfant et, surtout, le dispose de manière qu'il soit tourné vers le ou la pilote de l'engin, c'est-à-dire dans un contact visuel l'assurant qu'il est engagé dans une relation forte avec son environnement connu. Dans la poussette, au contraire, l'enfant est tourné vers le vaste monde, dirigé comme à son insu par une force invisible, et obligé de se confronter à l'ensemble des émotions innombrables qui ne manquent pas de jaillir d'un trottoir citadin, surtout quand on n'en est séparé que de quelques décimètres.
Dans le landau, une personne entourée et en relation ; dans la poussette, un individu lancé dans un monde inconnu. La plus grande victoire du capitalisme dans les trois dernières décennies n'est pas d'avoir ouvert le marché mondial, fait exploser les inégalités, relancé par la numérisation généralisée la course technologique ; elle est d'avoir transformé la conscience publique, en la convainquant de donner à l'individu une position démesurée par rapport aux relations humaines.
Que chacun examine sa conscience : préfères-tu voyager en landau ou en poussette ?
J'avoue que le landau ne me séduit pas trop : on ne voit pas trop où on va ! ni le paysage...
Mais je suis peut-être excessivement marqué par la fameuse scène du Cuirassé Potemkine d'Eisenstein, reprise dans Les Incorruptibles, où un landau dévale les escaliers... Cette scène serait en effet sans doute un peu moins angoissante en poussette. Dira-t-on que le capitalisme nuit également au cinéma d'auteur ? Faut-il voir dans cette scène d'Eisenstein une subtile défense du modèle socialiste ? Bon, assez ri, voilà la scène en question :
Et sa reprise par Mr Costner :
J'imagine une reprise gaiement capitaliste (ou, au moins, individualiste) de cette scène : le bambin, dans sa poussette, aurait un magnum dans chaque main et tout en dévalant les escaliers il tirerait en riant sur les méchants bien surpris de cet ennemi inattendu.
La critique du forfait me mène à une critique plus générale : celle de la gratuité.
La gratuité, c'est cool.
Mais il faut distinguer deux types de gratuité. Loin de moi l'envie de remettre en cause la vraie gratuité, qui repose sur le bénévolat (ex : Wikipédia) ou même la publicité (ex : journaux gratuits). En revanche, la fausse gratuité, qui concerne tout ce qui est payé par l'Etat, c'est-à-dire tout service public, pose problème (aïe, je devine déjà la levée des boucliers, ou plutôt des épées, gauchistes ; mais tant pis, il faut taper sur la gauche jusqu'à ce qu'elle change).
En effet, dans ce cas il existe un coût qui est masqué pour l'utilisateur : médicaments, services médicaux, routes... la gratuité de ces choses masque aux utilisateurs (consommateurs) leur coût véritable et ne pousse pas à les économiser.
Bref, encore plus clairement que dans le cas du forfait, à chaque fois qu'il y a gratuité, ou plus exactement à chaque fois que le coût d'un bien ou service n'est pas porté directement par celui qui en bénéficie, il y a un problème d'adéquation, de transparence, de vérité, d'information, bref il y a un coût caché, ce qui est potentiellement problématique.
Bon, je ne suis pas en train de dire qu'il faut tout privatiser, bien loin de là (dans de nombreux cas cela entraînerait des coûts supplémentaires, et la concurrence est souvent source de gaspillage). Je pointe seulement du doigt un problème théorique, qui nous fera peut-être réfléchir à deux fois avant de revendiquer des mesures quelque peu démagogiques comme la gratuité des transports en commun...
Une révolution urgente à gauche est de sortir du keynésianisme et de sa défense irréfléchie, en toutes circonstances, de la dette et du déficit publics.
L'argument de Keynes est le suivant : en s'endettant, l'Etat peut relancer l'économie via les salaires qu'il verse, car ces salaires augmentent la consommation et la consommation stimule l'économie.
Première remarque : en réalité pour Keynes le véritable « multiplicateur » de croissance n'est pas la consommation mais l'investissement.
Deuxième remarque : cette stimulation pour relancer la machine, analogue au fait de lancer un moteur à explosion pour qu'il démarre, est une solution provisoire pour un problème conjoncturel : elle suppose que l'économie, structurellement, est prête à fonctionner, qu'il manque juste la pichenette de départ pour que la circulation s'enclenche.
Par conséquent, cette solution ne saurait être pertinente pour la crise structurelle à laquelle nous faisons face aujourd'hui, et depuis 1975 (et à laquelle s'ajoute la crise survenue en 2007).
Autre conséquence : en toute rigueur, l'endettement d'Etat contracté en temps de crise (conjoncturelle !) doit être compensé par des économies (via un « fonds de relance keynésienne » créé ad hoc) réalisées en l'absence de crise conjoncturelle.
De sorte que finalement la dette publique, comme toute dette d'ailleurs, n'est défendable que si elle rapporte plus qu'elle ne coûte, c'est-à-dire si elle concerne des investissements, et des investissements rentables. Ils sont principalement de deux types, pour autant que je sache :
La dette doit donc être strictement limitée aux limites de ces investissements et de leur rentabilité. En dehors de cela, le budget de l'Etat devrait être parfaitement équilibré.
Ce n'est pas parce que cet argent est collectif qu'on peut le gaspiller. Et s'il y a des causes qui poussent à son gaspillage, ce n'est qu'une raison pour en surveiller d'autant plus rigoureusement la gestion.
Ce qu'il faudrait en revanche retenir de Keynes, et que la gauche a trop tendance à oublier, c'est son argument structurel, précisément : la redistribution, qui augmente la propension moyenne à consommer de la population, et restaure ainsi l'équilibre économique.
D’habitude, on adule les Bleus, et ces éloges, généralement fondés sur une appartenance géographique commune, voire sur une simple étiquette, sont aussi absurdes que le patriotisme (mais moins meurtriers).
Aujourd’hui, on déteste les Bleus, et je me rends compte que ce désamour est encore pire que l’autre sentiment.
Entre l’amour absurde et la haine absurde, je préfère encore l’amour absurde.
Le forfait qu'il s'agisse d'un forfait téléphonique ou d'une carte de transports en commun est une atteinte à la vérité, et par ricochet à la justice et à l'écologie.
Le mensonge consiste à payer un montant fixe quelle que soit la quantité consommée.
Il faudrait donc remplacer tous ces forfaits par un système unique, basé sur un tarif continûment dégressif en fonction de la consommation.
On s'habitue de plus en plus, en France et ailleurs (mais en France plus qu'ailleurs), à être perpétuellement assisté. Qu'une catastrophe naturelle se déclenche, et tous les regards se tournent vers l'Etat. Idem en cas de licenciement, de difficulté économique, etc.
Il est urgent d'en sortir.
L'assistanat est en effet nuisible à tous points de vue :
Cela dit le point le plus négatif est peut-être cette idée, fausse et déprimante, mais aussi auto-réalisatrice, selon laquelle nous ne sommes pas responsables de nous-mêmes, de notre vie et de notre bonheur.
Tout ceci ne signifie évidemment pas qu'il faut supprimer toute forme d'assistance. En revanche il serait bon de se souvenir que c'est une exception qui ne saurait devenir la norme. Dans un monde sain l'assistance n'est pas nécessaire ! Le véritable objectif politique est donc de faire disparaître l'assistance en la rendant inutile. Et, pour combattre un problème, l'assistance devrait être le dernier recours, le médiocre expédient provisoire en attendant la vraie solution.
Cela me fait penser à un effet pervers que j'oubliais, mais qui est pourtant essentiel : l'assistance nous fait oublier de résoudre le vrai problème de fond qui l'a rendue nécessaire. A ce titre elle fonctionne comme l'art ou la drogue.
Dans le cadre de la réforme des retraites, il est aujourd'hui question de prendre en compte la pénibilité de chaque métier. L'idée est d'emblée fumeuse à cause de l'indétermination scientifique du concept : comment mesurer la pénibilité ? En l'occurrence il est question d'avoir recours à un examen médical afin de déterminer les droits de chaque personne.
L'intention est louable : les différences d'espérance de vie selon les métiers exercés ont en soi quelque chose de scandaleux, et si c'est l'espérance de vie qui détermine l'âge de la retraite, il serait logique que celui-ci soit proportionnel à celle-là.
D'un autre côté, ces mécanismes visant à rétablir une certaine justice sont nécessairement complexes et lourds à appliquer, surtout dans la société de demain où on n'exercera plus guère un même métier tout au long de sa vie. On voit venir de multiples calculs et systèmes d'ajustements, avec leurs approximations et injustices inhérentes... Il en découlera calculs d'épiciers, tentatives de fraudes, et frustrations multiples... avec finalement un sentiment d'injustice général.
C'est pourquoi on pourrait aussi proposer, comme solution au problème des retraites, la grande simplification suivante : un seul minimum retraite universel, identique pour tous, et, comme son nom l'indique, minimum. Chacun est ensuite libre de se constituer un complément en épargnant tout au long de sa vie.
D'ailleurs, en fusionnant ce minimum avec le RSA, on pourrait créer une sorte de revenu universel pour personnes sans activité, ce qui aurait pour avantage de supprimer la question de l'âge du départ à la retraite : chacun pourrait la prendre dès qu'il le voudrait, si son épargne lui semble suffisante pour satisfaire ses besoins.
On pourrait aussi durcir ce principe en faisant de ce revenu universel quelque chose de facultatif, qui ne serait versé qu'exceptionnellement, aux personnes dans le besoin. On sortirait ainsi de la société d'assistance dans laquelle on s'enfonce un peu plus chaque jour.
Bref, selon la direction dans laquelle on l'étire, ce principe pourra paraître de gauche, ou de droite. L'élément qui ne change pas est la simplicité. On ne saurait sous-estimer la valeur de la simplicité en politique :
Je crois que la France a d'ailleurs particulièrement besoin d'une grande cure de simplicité. Proposition de loi : pour chaque nouvelle loi votée on doit en supprimer une ancienne (si besoin en la fusionnant avec la nouvelle loi). L'idéal étant de ne pas voter de loi et de se contenter de la pratique, du bon sens, et surtout d'instaurer des mécanismes de justice...
Le temps est beau. Sa beauté se montre dans les vieux objets, les pierres millénaires, les rides des vieillards, les lierres des murs et les lichens des forêts. C'est ce que les japonais appellent le sabi (beauté de l'ancien).
Mais c'est encore le temps, je crois, qui fait en partie la beauté des ouvrages d'artisanat finement et longuement ciselés et travaillés : les fines sculptures en pierre des cathédrales, par exemple, qui ressemblent à de la dentelle. Ici la beauté réside dans l'importante quantité de travail contenue par la chose, c'est-à-dire dans le temps qu'elle cristallise. On s'en rend compte quand on voit le même objet, parfois dans un matériau également noble, mais réalisé par des procédés industriels, à la chaîne. Certes, l'idée que l'objet n'est pas unique contribue alors à notre dépit. Mais je crois que la rapidité de sa production y est aussi pour quelque chose. On pourrait encore dire que ce plaisir esthétique est celui de la domination : l'objet longuement travaillé est comme imprégné de la sueur d'hommes, et celui qui possède l'objet possède ce travail, il est symboliquement leur maître.
Je trouve ce critère intéressant pour juger de la valeur de l'écriture. La littérature, je crois, nous plaît souvent parce qu'elle est riche et travaillée, exactement comme une sculpture ciselée dans le marbre. A contrario, la prose journalistique est déplaisante car pauvre et toujours écrite à la va-vite (je dois malheureusement inclure ce blog dans cette triste catégorie !).
Il y a ici une tension entre ce principe, en accord avec l'idée de Nietzsche du génie comme grand travailleur, et le fait que l'effort lui-même disparaît de l'œuvre d'art. Il faut donc du temps, mais aussi de la maestria. Sinon, ça devient laborieux. Ça sent l'huile, comme on dit.
C'est une erreur de croire que les impératifs moraux disparaissent avec les religions. L'athéisme, l'hédonisme et Mai 68 n'ont pas supprimé ces injonctions suprêmes. Toute conception du monde, en effet, porte en elle un commandement, explicite ou implicite.
Dans la conception athée et hédoniste, il y a bien un certain devoir moral, du moins un équivalent de ce qui était le devoir moral. Ce devoir ne consiste plus à souffrir (pour expier, pour les autres, etc.) mais à jouir, à être heureux.
En effet, s'il n'y a pas de vie après la mort, si la vie n'a pas de « sens » particulier imposant un type d'action, alors la seule chose à faire est de s'amuser. C'est sympathique, mais cela en vient à fonctionner comme une norme, un impératif et donc une forme de contrainte : si tu n'es pas heureux tu es un raté, tu n'es pas un « élu », ta vie ne vaut rien, elle n'a pas d'intérêt... On décèle mille formes de ce petit dogme dans la vie quotidienne, avec tous ces « ça va ? » par exemple.
Une nuance importante tout de même : cet impératif paraît moins nuisible que d'autres pour deux raisons. D'abord parce que le bonheur est un objectif plutôt sympathique, malgré tout. Ensuite, et surtout, parce qu'il n'est pas vraiment imposé. La religion ordonne, la science conseille.
Ce qui suit est peut-être une évidence, mais il est parfois bon d'énoncer les évidences.
La morale n'est rien de plus qu'une mécanique. Elle ne suppose aucune assise religieuse ou sacrée, pas plus que la « liberté » (en un sens métaphysique un peu fort) des hommes. La morale et la responsabilités sont compatibles avec le déterminisme métaphysique le plus absolu.
C'est-à-dire qu'il n'y a pas de morale au sens fort. Au fond, le discours moral n'a aucun sens. Il n'y a pas de véritable faute ni de véritable péché. Il n'y a que des phénomènes naturels plus ou moins nuisibles à certains. La morale se construit là-dessus, et bricole de siècle en siècle, pour que les sociétés fonctionnent (avec d'ailleurs une bonne part de symbolique et d'idéologie, qui interdit de voir dans la morale un appareil théorique rationnel et efficace).
Nous verrons peut-être bientôt nos jugements moraux, tous chargés de haine et de ressentiment, comme de vieux réflexes animaux, des résidus de l'animalité en l'homme. L'homme véritablement civilisé n'aura peut-être plus de sentiments moraux... ce qui ne l'empêchera pas d'apprécier ou d'être dégoûté par certaines choses. Il y a là une subtile distinction : l'homme moderne sera par-delà bien et mal, mais non par-delà bon et mauvais...
Je pose la question sans plaisanter :
A-t-on le droit de manger des bananes ?
A première vue, non. Cela est moralement interdit, du moins dans les pays Occidentaux. Car comme tout produit lointain, cela consomme du pétrole. Or, les circonstances étant ce qu'elles sont, nous n'avons pas le droit de brûler le moindre litre de pétrole, surtout quand nous pourrions nous en passer (en mangeant des pommes, dans ce cas).
Le problème, c'est que cet argument sera très difficile à faire avaler à ceux qui aiment les bananes et en consomment régulièrement. On veut bien sauver la planète, mais faut pas déconner non plus.
Il sera peut-être plus facile d'admettre qu'il est moralement interdit de partir en vacances aux Bahamas... Mais là encore, allez convaincre celui qui a justement envie d'y aller ce week-end !
Mais au fait, comment savoir ce qui est pire manger des bananes ou aller aux Bahamas en avion ?
Je pense que cette question est à peu près insoluble. Ou plus exactement : ces deux actes nuisent exactement à proportion de la quantité de pollution émise, donc de la quantité de pétrole consommée. J'y vois un argument de plus pour la taxe carbone. Contrairement aux autres systèmes de régulation comme les quotas, cette simple taxe permet d'agir au plus juste, de faire en sorte que les prix reflètent les coûts réels (y compris le coût environnemental, diffus et difficile à mesurer), afin d'appliquer le principe simple qui résume la solution du problème écologique : pollueur-payeur.
Il y a quelque chose de l'idée de Hayek (grand économiste libéral) dans cet argument : on ne peut déterminer dogmatiquement le bien et le mal. Il faut laisser les hommes libres (de manger des bananes ou d'aller aux Bahamas. Mais qu'ils paient pour la pollution engendrée par leur action. Ainsi tout le monde sera content.
D'un autre côté, il y a aussi dans ce « libéralisme écologique » un principe peu libéral : l'idée que les marchés ne prennent pas en compte d'eux-mêmes les coûts globaux et diffus, notamment écologiques. Il y a d'ailleurs là une analogie avec le risque systémique en finance, et un développement philosophique à établir dans le rapport entre le tout et la partie. Le libéralisme trouve ses limites dans les conditions qui s'appliquent au tout, au marché dans son ensemble. Celles-ci doivent être définies extérieurement, par l'Etat. Les parties du jeu sont définies par un tout qui ne fait pas partie du jeu. La théorie libérale admet d'ailleurs parfaitement et évidemment ce principe : le libéralisme est fondé sur l'Etat et la loi. La liberté est fondée sur la force.
Il y a une idée à laquelle il devient urgent de tordre le cou : cette manière de justifier le gaspillage en disant que « ça crée de l'emploi ». Par exemple, au boulot, on imprime un dossier inutile, et on s'excuse du gaspillage de papier en (se) disant que ça fait travailler les papetiers.
La réponse fondamentale à cette erreur est de se souvenir que notre but n'est pas de travailler plus, mais au contraire de travailler le moins possible. (Une idée que l'on a gravement tendance à oublier à cause des multiples discours sur la nécessité de « créer des emplois », alors que le but est au contraire d'en détruire, comme je l'explique sur ce post.)
Ce qui précède est l'argument fondamental. Il peut être utile d'ajouter la reformulation suivante, plus concrète : Prenons l'exemple, cette fois, d'un papier que l'on jette dans la rue. « Ça fait travailler les balayeurs », nous dit notre aimable pollueur. Oui, mais il faudra le payer, avec nos impôts. Dans le cas d'un entreprise (où, là encore, on gaspille volontiers puisqu'on n'en supporte pas directement le coût), le coût est supporté par le clients de l'entreprise.
Bref, le gaspillage est non seulement écologique, mais il est aussi humain et économique.
Dernier argument pour la route : le gaspillage est même nuisible à l'emploi car il rend l'économie d'un pays moins efficace donc moins compétitive. Cet argument reste limité, car il est à courte vue (échelle nationale), mais il peut s'avérer utile dans certains cas...
Il n'est jamais trop tard pour lire Cioran, philosophe roumain et pessimiste. La phrase suivante, tirée du Précis de décomposition, m'a frappé par sa pertinence et son actualité :
Ça claque.
Et surtout c'est vrai. En particulier pour cette capacité que nous avons à souffrir pour d'absurdes vétilles.
(Suite du post précédent.)
...Ce que je veux dire, c'est que finalement, dans l'art comme dans la vie, le malheur (la souffrance, la tristesse) est peut-être une solution de facilité.
Il est plus facile d'émouvoir et de plaire par la représentation du malheur que par la représentation du bonheur. Les artistes inventent davantage de tourments psychologiques scabreux que de plaisirs inédits (je pense surtout aux conteurs romanciers et cinéastes).
De même il est plus facile d'être malheureux que d'être heureux, de se plaindre que de se satisfaire. Le bonheur demande plus d'imagination que le malheur. Notre esprit nous torture plus volontiers qu'il ne nous réjouit
D'autre part, et surtout, l'homme malheureux est dans une position morale plus facile que l'homme heureux. Car il est à plaindre, le monde est comme endetté envers lui, alors que pour l'homme heureux c'est l'inverse, c'est lui qui est endetté envers le monde... Je crois que Dieu (c'est-à-dire la nature) a décidément un statut économique particulier (cf. ce post sur la valeur de la nature), et qu'il faut parfois savoir refuser de payer !
Il existe un genre de musique indienne (par exemple celle de Pandit Jasraj) qui consiste en chants langoureux, mélancoliques, presque des gémissements : on croirait entendre un sanglot chanté.
Cette musique a une indéniable beauté. Mais tout aussi indéniablement, elle évoque et représente la souffrance. La souffrance serait donc belle ?
Mais oui, et on le sait depuis longtemps, surtout nous autres Occidentaux, adeptes du spleen et de la mélancolie.
Reste à savoir que penser de cette esthétique christo-maso...
Encore une pensée sur la cravate.
La cravate se distingue par son ambivalence :
Finalement ce dispositif qui vous encercle le cou d'un nœud coulant n'est pas si rassurant pour son porteur...
Voici une expérience philosophique qui n'est pas de moi, mais qu'on m'a racontée, et qui a une portée universelle, comme toute chose.
On peut, en se promenant dans les champs ou la forêt, être soudain pris par cette belle et étrange idée : La nature fait ce qu'elle veut.
Car oui, la nature fait ce qu'elle veut. Ou du moins chaque créature vit, croît et s'exprime spontanément, sans mauvaise conscience, et d'ailleurs probablement sans conscience du tout. Chaque brin d'herbe grandit où bon lui semble, où il peut.
Cette liberté de la nature est fascinante pour nous, les hommes, toujours épiés par notre conscience tapie quelque part au fond de notre crâne telle un lion... On peut alors se mettre à envier la nature comme l'angoissé envie les choses (elles ne meurent pas, elles !).
Cette réflexion sur la croissance de la nature me fait penser à une scène : dans le film Microcosmos une plante grimpante a été filmée au ralenti, on la voit enlacer une brindille puis, arrivée à l'extrémité d'icelle, décrire des cercles à la recherche d'un appui... Grâce à l'accélération du temps le mouvement et donc la vie de la plante apparaît, c'est assez merveilleux. (Ce passage se trouve à 8 min 26 et vous pouvez le visionner ici.)
Quel est le point commun entre la Burqa et la Grèce ?
C'est qu'on est en train de faire la même chose avec l'une qu'avec l'autre : beaucoup stigmatiser, beaucoup menacer (de ne pas sauver la Grèce, d'interdire la burqa) pour finalement, dans les faits, être gentil (on sauve la Grèce et on n'interdira pas la burqa, ou difficilement).
Et dans les deux cas le résultat est le même : beaucoup de dégâts pour rien. Dans le cas de la Grèce, des milliers d'euros ont été perdus en taux d'intérêts élevés payés par la Grèce tant que les marchés (et donc les créanciers, les gens qui prêtent à la Grèce) n'étaient pas rassurés. Dans le cas de la burqa, les musulmans se sentent à juste titre pointés du doigt une fois de plus, alors que finalement rien ne sera fait.
Quel gâchis...
Il y a un dispositif qui me rend dingue depuis longtemps, et dont on ne parle pas assez je trouve.
C'est pourtant quelque chose de tout simple : je veux parler des portes qui n'ont pas de poignée extérieure. Pas besoin de chercher très loin, presque toutes les portes des appartements, en France, sont comme ça. J'aimerais bien qu'on m'explique l'intérêt de cette invention ignoble.
Ignoble, parce que cela signifie que notre porte est, par défaut, fermée.
A cela s'ajoute le risque multiquotidien d'enfermer ses clés à l'intérieur. Ce risque n'existe pas pour les portes normales, avec poignée et clé, car il faut la clé pour les verrouiller ! Il est donc impossible d'enfermer sa clé.
Le pire de tout, c'est que du coup on stresse chaque jour pour ne pas enfermer sa clé à l'intérieur, ce qui est finalement un tracas bien plus grand que d'enfermer sa clé une fois de temps en temps.
Celui qui a inventé ce dispositif devrait être traîné en justice pour la quantité astronomique de tracas et d'énergie psychique gaspillée.
D'ailleurs il y a des tas de dispositifs ignobles dans le genre, surtout à notre époque, par exemple aujourd'hui on regorge d'imagination pour empêcher les clodos de dormir sur les bancs, les marches, les encoignures, etc. On en verra un petit aperçu sur ce site.
Bref... Je rêve d'un monde où les portes auraient des poignées à l'extérieur...
En y réfléchissant bien je trouve quand même un avantage à ces portes, mais un seul, que j'indiquerai par honnêteté intellectuelle : c'est qu'elles rendent possibles des films drôles comme A gauche en sortant de l'ascenseur...
« Je m'en fous. »
Ces trois mots magiques (où tient toute la philosophie, selon Montesquieu) sont une bénédiction. J'ai même parfois envie de dresser la longue, l'interminable liste des choses dont je n'ai rien à foutre, juste pour le plaisir.
Mais toute bonne chose a sa contrepartie, et si ces trois petits mots sont une délivrance, ils sont aussi la source d'un tracas peut-être encore plus grand. A tel point qu'on peut remettre en cause l'idéal stoïcien, consistant à mépriser (ignorer) tout ce qui ne dépend pas de nous. Dans leur équation du bonheur, les Stoïciens n'auraient-ils pas oublié le paramètre « ennui » ?
J'ai déjà parlé de ce point dans un post précédent, mais j'y reviens à l'occasion de la publication du Livre blanc des femmes de ELLE - 20 mesures concrètes pour transformer la vie des femmes… et celle des hommes.
Voici le passage qui m'a le plus gêné à la lecture de ce texte :
C'est là, je pense, une grande erreur du féminisme. Autant l'identité nationale me semble une absurdité dont je souhaite la disparition, car elle ne repose sur rien de réel et naturel, autant la disparition des identités sexuelles ne me semble ni possible ni spécialement souhaitable. Mais surtout impossible. Et c'est à mon avis une grande erreur que de confondre égalité et identité. Nous pouvons et devons faire de la femme l'égale de l'homme. Mais nous ne pouvons ni ne devons en faire l'identique.
Bref, pour répondre précisément à l'extrait ci-dessus, si des métiers sont dévalorisés car féminins, il ne faut pas agir sur le fait qu'ils sont féminins mais sur le fait que ce qui est féminin est valorisé. La vraie libération de la femme n'est pas de la déguiser en homme et de faire disparaître le féminin, mais de reconnaître enfin le féminin à sa juste valeur !
(D'ailleurs, on trouvera chez Nietzsche, supposément machiste, bon nombre d'éléments pour faire cette révolution, notamment dans sa valorisation du corps par rapport à l'esprit, et plus généralement du détail, de la vie quotidienne, du confort, de la gastronomie, etc.)
Moi qui ai le goût du paradoxe, je remarque d'ailleurs celui-ci : pour une bonne part, ce qu'on a appelé « libération de la femme » a constitué en fait sa soumission suprême aux valeurs masculines, puisqu'il s'est agi d'imposer ces valeurs aux femmes.
La vraie libération de la femme ne consistera pas à copier l'homme, mais à inventer une femme libre. Libre et différente. Et d'ailleurs l'amour hétérosexuel est en grande partie amour de la différence. Pour une fois qu'une telle chose existe, ne la détruisons pas !
N.B. : Je me rends d'ailleurs compte que les logos féministes expriment à merveille ce « mauvais féminisme » !
Petite remarque sur la fin de la philosophie.
J'ai déjà remarqué quelque part qu'on était plutôt au début d'une époque éminemment philosophique.
J'ajouterai encore ceci : de manière plus générale, la philosophie (comme l'art) ne fait pas partie des choses qui ont une fin. Les choses ne font pas défaut. La pensée ne s'arrête pas. C'est seulement l'homme qui, momentanément, n'est plus capable de penser, de voir les choses, pour des raisons personnelles ou historiques. C'est-à-dire, plus précisément, qu'à certaines époques il y a des préjugés qui empêchent de penser ; ou des problèmes enterrés, recouverts ; ou des opinions et valeurs dominantes qui jettent un discrédit sur certaines questions. Mais la Pensée, elle, n'est pas affectée par cela, elle ne tarit pas, planant, infinie et éternelle, au-dessus de nos âmes !
En fait, cette idée de l'infinité de la pensée est une autre formulation de l'infinité de « Dieu », comme on le voit en lisant Victor Hugo défendre la même idée (William Shakespeare, livre III, 1 et 5, et livre V, 2).
Encore une petite méditation vestimentaire : l'autre jour, je cherchais une cravate dans un grand magasin chic. Pourquoi chic ? Mais pour avoir la classe, mon cher. Donc je m'apprêtais à payer bien trop cher pour un bout de tissu, en tout cas si on rapport le prix à l'utilité (en l'occurrence, aucune, sinon symbolique).
Une petite introspection me révéla le fait suivant, qui s'applique à bon nombre d'entre nous je crois : si on achète une belle cravate, et de beaux vêtements en général, c'est avant tout pour que les gens ne nous fassent pas chier. Si tu as une cravate un peu vieille ou sale ou trop différente, tu peux être sûr qu'on va te servir une remarque à la con. Cette remarque ne sera au fond pas très gênante ni douloureuse. Mais c'est bien pour l'éviter qu'on traîne dans les rayons et qu'on dépense parfois des petites fortunes. Pour avoir la paix, bon sang, la paix.
Je rêve parfois d'un monde où les gens ne feraient pas chier... mais c'est une utopie.
Puisque je suis dans les posts insignifiants, autant continuer gaiement. Donc, voici un paradoxe étonnant : quand on croise quelqu'un, dans une rue ou un couloir, qui a un même vêtement que nous (la même écharpe, par exemple, ou la même chemise), on sent un méchant petit sentiment de gêne (et aussi, peut-être, pour les plus subtils d'entre nous, ce petit frisson mystique ou superstitieux ou comique lié à la répétition, toujours marquante pour l'esprit humain). Ce sentiment se comprend aisément, on ne veut pas être habillé comme l'autre, puisque justement on s'habille pour se distinguer. Et même si on s'habille pour être comme tout le monde, on ne veut quand même pas être exactement identique. On a un soi, quand même, que diable.
Ce petit fait devient drôle quand on prend un peu de recul. Il est comique de constater que nous sommes tous (en tout cas, la plupart d'entre nous) extrêmement conformistes et donc rigoureusement identiques dans notre style ; mais qu'une écharpe soit vraiment la même et nous voilà vexés ou gênés. Nous sommes choqués par le détail, par la petite chose, mais non par la grande, bien plus humiliante pour notre originalité, indépendance d'esprit, goût, etc.
Les petites choses poétiques de la vie sont comme de jolies feuilles mortes...
...Mais je n'aime pas trop les râteaux ! Il y a des pensées qui une fois écrites sont comme des papillons cloués sur un mur.
Voici aujourd'hui une pure réflexion d'histoire de la philosophie.
Le coup de génie de Spinoza a été de concevoir le monde comme conatus, c'est-à-dire comme désir, effort, processus, mouvement et tension vers un but.
Les conséquences de ce point sont capitales : cela permet de concevoir le monde comme « tout bon » malgré l'indéniable existence du « mal » et de l'imperfection.
Certes, il y a du mal, nous dit Spinoza, mais le monde tend vers le mieux, donc ce mal n'est qu'une faiblesse, une absence, un creux.
L'image d'un monde éternel, figé comme une pierre, ne permet pas d'opérer une telle distinction et de réunir ainsi deux choses apparemment contradictoires. Le temps est l'opérateur dialectique par excellence. Source de la contradiction, il en est aussi la solution.
Il y a d'ailleurs, plus généralement, dans les spiritualités et les religions messianiques (comme la religion juive, dont Spinoza s'inspire), cette habile conciliation de l'idée religieuse que « tout est bon » avec la constatation empirique du mal. Le futur donne la solution. Ou, dans le cas de Spinoza, un peu plus subtilement, l'équivalent ontologique de ce futur, car la tension vers le mieux est déjà contenue dans le présent lui-même.
Une fois n'est pas coutume, voici une idée pessimiste :
De la même manière que la volonté de savoir est l'expression plus raffinée de la volonté de ne pas savoir (Nietzsche), la joie est l'expression plus raffinée de la tristesse.
C'est du moins ce qu'on peut ressentir, surtout quand on est un peu hystérique.
Cette idée pessimiste est aussi anti-spinoziste. Pour Spinoza, seul le Bien est positif, le Mal n'en est que l'envers. Par conséquent pour Spinoza c'est la tristesse qui est le reflet de la joie, ou plutôt son ombre, son envers.
Les Grecs expliquaient plaisamment l'origine des petits insectes : ils pensaient que ceux-ci naissaient spontanément dans les matières en décomposition, la saleté, la poussière. Jolie théorie, assez poétique, contenant même sans doute une part de vérité, à laquelle je pense souvent quand je fais le ménage.
Mais justement, en faisant le ménage une question bien plus fondamentale apparaît, et à laquelle la théorie de la génération spontanée ne répond pas : d'où vient la poussière elle-même ? C'est elle qui semble avoir le pouvoir magique de naître à partir de rien et de se reproduire ensuite. Voilà une réfutation définitive de l'idée que « rien ne peut surgir du néant » !
« J'ai pas le temps. »
Cette phrase a un statut particulier : elle est l'excuse universellement acceptée, sans qu'on nous pose de questions. C'est bien pratique.
Pourquoi cela ?
Il y aurait encore bien des choses à dire à ce sujet, mais je vais m'arrêter là parce que je n'ai pas le temps de développer davantage.
De toute façon vous n'auriez sans doute pas eu le temps de lire ces développements.
Pourquoi est-il si agréable de manger ?
En étudiant la philosophie j'ai appris qu'on pouvait répondre des tas de choses folles à ce genre de questions banales. En voici un exemple d'une telle investigation interprétatrice.
Pourquoi manger est si bon ? Voyons. Que se passe-t-il quand on mange ? D'abord, on tue. C'est violent. Oui, tout ce qu'on mange est vivant. Dans le meilleur des cas, c'est une partie conçue par la plante pour être mangée (exemple unique à ma connaissance : le fruit) donc on ne tue pas vraiment, mais quand même. Donc manger, c'est le plaisir de tuer (pulsion de mort).
Mais manger n'est pas seulement détruire (l'aliment), c'est aussi construire (notre corps). Donc manger est le plaisir de vivre (pulsion de vie). Finalement, voici : en mangeant se produit ce miracle : on en tue un pour en faire vivre un autre. La matière de l'un nourrit l'autre. Elle entre sous un autre rapport, elle revit dans un autre être. Finalement, manger est une résurrection. Le plaisir de manger est donc le plaisir de la résurrection.
Je ne sais pas si c'est ce qu'ont voulu symboliser les Pères de l'Eglise avec cette histoire d'ostie, métaphore du corps du Christ qu'on avale, brr, ça fait un peu cannibale. Peut-être.
La réalité
est le refuge
de ceux qui ne supportent pas
le rêve.
Et non l'inverse.
Après un petit séjour à la campagne, voici les conclusions de mes analyses :
Premièrement, à la ville l'homme est tout. La ville regorge d'hommes, tout à la ville est fait par l'homme. A la campagne en revanche, l'homme n'est rien, la nature est tout, et l'action des hommes semble insignifiante. C'est pourquoi l'urbain s'agite et le campagnard se calme. « Puisque je sers à rien, autant ne rien faire », songe ce dernier.
Deuxièmement, il y a le mimétisme. A la ville tout le monde s'agite, alors on fait comme eux et on court sans savoir où ni pourquoi. A la campagne en revanche, tout est immobile. Les montagnes. Les arbres. Les champs. Même les moutons. Chaque brin d'herbe semble t'inviter à faire comme lui, à se laisser bercer par la brise, paresseusement, dans l'air tiède du printemps.
Van Gogh, Le Repos
Les observateurs de l'histoire (par exemple : Victor Hugo, Ernst Gombrich, Jacques Attali) ont remarqué ce fait étrange : le dominant adopte généralement la culture du dominé. Exemples : Akkadiens et Sumériens, Grecs et anciens peuples autochtones, Barbares et Romains.
Pourquoi en va-t-il ainsi ? On pourrait penser qu'au contraire, le dominant devrait imposer sa culture, car il est plus fort.
Une première explication consisterait à dire que le dominant est fort, certes, mais barbare, donc peu cultivé (c'est justement pour ça qu'il a pu faire la guerre) ; et par une loi un peu magique la culture supérieure s'impose à la culture inférieure.
J'ai trouvé récemment une autre explication sous la plume de l'écrivain roumain Virgil Gheorghiu, dans La Vingt-cinquième heure : si le dominant adopte la culture du dominé, c'est pour mieux pouvoir le commander.
Gheorghiu en tire une conséquence assez terrible pour nous : nous vivons dans un monde plus rempli que jamais d'esclaves. Ces esclaves sont parfaitement obéissants, car ce sont des objets, des outils, des machines. Interrupteurs, ordinateurs, thermoréacteurs, tracteurs, aspirateurs. Dans le monde super-pratique moderne, les hommes deviennent eux aussi des machines...
Pour donner une touche d'optimisme, on pourrait distinguer deux effets de l'objet technique : un aspect aliénant, et un aspect libérateur. Mais il n'est pas du tout évident de savoir lequel l'emporte !
Les sentiments sont dans le corps comme des pierres dans un sac.
Ils ne sont pas dans l'âme ou dans la tête. Ils sont dans les bras, dans le dos, dans les épaules, dans le ventre. Et puis ils sont là, physiques, il ne suffit pas de penser à autre chose pour qu'ils disparaissent. Bref, l'esprit est chair.
Les chiens pissent indifféremment sur les ordures et sur les fleurs.
Ô relativité fondamentale de toutes choses.
Déprimante et saine relativité...
On entend souvent les conférenciers s'étonner du fait que le principe de la séparation des pouvoirs soit si peu respecté dans le pays de Montesquieu.
Ne nous étonnons plus. C'est tout naturel. Quand un grand théoricien s'exprime pour défendre une cause, c'est bien souvent que cette cause est menacée là où il se trouve !
Spinoza n'est pas né dans des Pays-Bas où régnait la liberté d'expression. Montesquieu a peut-être établi la nécessité de la séparation des pouvoirs car il en constatait l'absence.
En poussant un peu les choses, on s'apercevra que bien souvent on choisit entre dire et faire. Commençons par un exemple innocent : les serveurs des restaurants remarquent que beaucoup de clients paraissent très satisfaits mais ne laissent aucun pourboires, alors que d'autres s'expriment peu mais laissent une plus jolie somme. Ce qui est logique, car il y a là deux moyens de s'exprimer. Remercier le serveur remplace l'argent qu'on ne lui donnera pas, et réciproquement.
Avec cette idée en tête, on verra tout à coup la France différemment, et on lira d'un œil nouveau toutes ses flamboyantes déclarations gravées dans le marbre des statues et aux frontons des monuments. Il y a en effet deux attitudes possibles face aux grands principes : les énoncer, ou les appliquer. Et les énoncer est un bon moyen de ne pas avoir à les appliquer. Ainsi l'Angleterre applique les principes démocratiques sans les écrire ; la France les proclame mais ne les applique pas.
Quand quelqu'un se trompe, et que vous essayez de le détromper, bien souvent il n'y aura rien à faire et il persistera mordicus dans son erreur, avec une conviction farouche.
En revanche, s'il est dans le vrai il sera beaucoup plus facile de lui faire changer d'avis.
Comment ne pas voir dans ce petit fait une preuve de l'existence du diable ? De fait, l'existence du diable est bien plus facile à prouver que celle de Dieu.
On pourrait d'ailleurs très facilement retourner l'éthique de Spinoza comme un gant (et avec elle toute la philosophie chrétienne) et dire : seul le mal existe, le bien n'est rien de positif, il n'est qu'un néant. Dieu n'est que l'ombre du diable, son absence, son sommeil momentané. Regardez les hommes : il n'y a que de l'égoïsme et de l'avidité, la volonté d'écraser et dominer les autres pour en tirer un plaisir personnel. Ce qu'on appelle le bien est la simple absence du mal ou le néant qui résulte de l'annulation de plusieurs égoïsmes...
Le raisonnement menant Pascal à parier sur l'existence de Dieu semble imparable. Voici : j'ai le choix entre croire et ne pas croire (en Dieu). Si je ne crois pas, je peux vivre une vie joyeuse en papillonnant d'un péché capital à l'autre, mais je suis sûr de ne pas aller au paradis. Si je crois en revanche, je mise quelque chose de fini (ma vie, ou plus précisément ces plaisirs interdits dont je me prive) pour gagner quelque chose d'infini (la vie éternelle au paradis). De sorte que mon espérance mathématique (le gain moyen) est dans un cas fini (une vie de plaisir), dans l'autre infini. En effet, même si l'on considère qu'il n'y a qu'une chance sur mille pour que le paradis existe, un millième multiplié par l'infini, ça fait encore l'infini... Du coup, ce raisonnement semble mathématiquement imparable, et nous devrions tous être chrétiens (ou musulmans, ou autre chose... il faudrait d'ailleurs traiter ce problème de la multiplicité des religions) si nous étions des agents parfaitement rationnels. Où se cache dont l'astuce ?
Je crois que Pascal a laissé de côté une dimension très importante qui guide nos choix, qui est l'aversion au risque. L'exemple suivant rendra les choses très claires. Imaginez que je vous propose une loterie où tous les tickets sont gagnants sauf un. Vous aurez une chance sur un million de perdre un million d'euros (c'est-à-dire tout ce que vous possédez, et plus encore), et 999 999 chances de gagner deux euros. Supposons que le ticket de cette loterie coûte 50 centimes. Rationnellement, il faudrait jouer, parce que l'espérance mathématique est de gagner (environ) un euro, soit 50 centimes si on déduit le prix du billet. Mais qui veut risquer toute sa fortune pour ne gagner que 50 centimes ? Ce refus de la pure rationalité mathématique à cause du risque illustre ce phénomène de l'aversion au risque.
Il faut croire que cette aversion est telle qu'elle peut nous faire délaisser l'infini ! Cela dit, le choix religieux ne se réduit évidemment pas à un calcul de probabilités.
Je tiens à souligner deux points qu'on oublie trop souvent :
Il y a dans l'économie classique une idée qui passe pour une victoire sur l'ancien monde et la condamnation aristotélicienne de l'échange économique. C'est l'idée que l'échange avantage les deux parties.
Cette théorie repose sur une conception subjective de la valeur. Les chaussures n'ont pas beaucoup de valeur pour le cordonnier (parce qu'il sait en faire et il en a beaucoup), par contre le blé a une plus grande valeur. Et c'est exactement l'inverse pour le paysan. Donc ils échangent et chacun y gagne. Bon.
On ajoute parfois ceci pour enfoncer le clou : si chacun n'avait pas intérêt à échanger, l'échange ne se ferait pas, car l'échange est libre.
Certes. Mais dans quelle mesure l'échange est-il libre ? Prenons un exemple extrême : l'esclavage. Travailler gratuitement pour son maître, et en échange il ne nous tue pas et nous nourrit. Avantage réciproque. Car l'esclave est libre de refuser et de se faire assassiner.
Ceci révèle le trucage : certes, les conditions étant données, tout échange intéresse chaque partie. Mais cela ne nous dit rien sur les conditions sociales qui encadrent l'échange. Et tout est là.
Bref, la théorie de l'avantage réciproque est creuse, et elle n'est surtout pas une théorie de la justice économique. Pour qu'un échange soit juste il ne suffit pas qu'il existe, car sinon tous les rackets du monde seraient merveilleusement justes.
Face aux cons, on craint pour son corps mais on ferait mieux de craindre pour son âme : rendre un coup bas est pire que de le recevoir. C'est véritablement pour cela que les cons sont dangereux. La connerie est contagieuse comme la guerre.
Mano Solo est mort il y a quelques jours. En réécoutant ses chansons, j'ai ressenti une impression que m'avait déjà donné Jacques Brel. Il semble qu'au fond de la tristesse brille une joie puissante, comme une pépite au fond d'un ruisseau boueux.
Par exemple, on peut sentir ça dans Jeff de Brel ou dans Je suis venu vous voir de Mano Solo.
Une explication possible serait qu'il y a parfois dans la mélancolie profonde une forme de colère qui peut se transformer en joie. Et aussi, que cette joie a la force et la solidité du fond, de celui qui a touché le fond de la piscine et qui ne peut aller plus bas, et au contraire s'appuie dessus pour remonter...
Cela rappelle un mot énigmatique de Nietzsche :
Aussi et surtout, cette impression musicale nous permet peut-être d'apercevoir cette mystérieuse « joie vigoureuse » (gerustete freude) évoquée par Heidegger et que l'on découvre, selon lui, au fond de l'angoisse, quand au lieu de fuir l'idée de la mort et de l'abîme nous y faisons résolument face...
Je pense que la stupidité humaine culmine dans le klaxon.
A Paris, ville censée être l'un des points culminants de la civilisation, les carrefours résonnent sans cesse de coups de klaxon... Ah, que je hais ce comportement inutile et absurde ! Expression primitive de la colère. Acte qui ne peut faire qu'empirer les choses. Et puis, bruit. Nuisance.
Schopenhauer, homme raffiné, détestait le bruit. Il voyait dans la réduction du bruit un signe de civilisation. C'est en effet un signe qui ne trompe pas, et le vacarme de nos cités modernes montre que nous sommes très loin de la vraie civilisation !
Alors voici, M. Delanoë, une proposition simple pour renflouer les caisses de l'Etat : faites appliquer la loi. Il est interdit de klaxonner sauf en cas de danger immédiat. A 50 € le coup de klaxon, ça devrait aller assez vite.
Sinon, je me réserve toujours la possibilité de balancer, depuis ma fenêtre, des seaux d'eau ou des œufs sur les pare-brises des idiots nuisibles. Je me plais à imaginer la réaction du type, qu'il soit dans une mercédès noire très chic ou dans un vieux bahut prolétarien. Je suis sûr que cela pourrait l'amener à réfléchir. Il est vrai que je suis quelqu'un d'optimiste.
Débat amusant, ou pathétique : celui sur l'identité nationale. Un chiffon rouge agité par la droite, pour faire réagir la gauche et remporter des voix. Et ça fonctionne. D'ailleurs moi non plus je ne peux m'empêcher de réagir tant l'idée est absurde.
Quelle idée ? L'idée de vouloir définir et cerner une identité nationale pour en faire un instrument politique d'inclusion et surtout d'exclusion. Ici on n'inclut que pour pouvoir exclure. Tests de langue française, tests d'amour, tests de patriotisme. Nombreuses sont les absurdités qui guettent, des idées et des sentiments plus périmés que jamais.
Pour le dire en un mot : vouloir légiférer sur ces choses-là est impossible et ignoble, car c'est une profonde atteinte à la liberté de pensée. Impossible, car on ne peut toucher à cette liberté, nul ne peut lire les pensées et sentiments d'autrui. Ignoble, car vouloir le faire est ignoble et détestable. C'est le viol politique. Se soucier d'une intimité qui ne regarde personne.
La loi ne peut et ne doit porter que sur les actes. Tout ce que l'on peut exiger d'un citoyen, d'un individu, c'est qu'il se comporte de telle ou telle manière. Ses mots et ses pensées doivent rester libres. Les tentatives de résoudre divers problèmes (paix sociale, terrorisme, etc.) en portant atteinte à cette liberté fondamentale sont vouées au rejet et à l'échec.
Il est vrai que c'est là la spécialité de la France, sous couvert de la formule magique « intégration » : l'Etat français a déjà porté atteinte à la liberté religieuse en interdisant le voile ; il n'est plus à une ignominie près.
Longtemps, je me suis couché de bonne heure demandé ce qui fait la beauté, et pour mieux dire la saveur si particulière des métaphores.
Aujourd'hui je pense que tout cela vient du fait que la métaphore, en rapprochant deux choses, permet non seulement de voir l'une sous un autre angle, de voir une chose comme une autre chose, mais plus profondément que par cette épreuve de la similitude elle nous fait accéder au spirituel, d'une manière sensible. Ce qui plaît, ce qui frappe, ce qui choque, ce qui stupéfie et réjouit dans la métaphore, c'est ce décollement de la chose concrète et cette élévation vers le concept, le transcendant, le spirituel.
L'autre jour, alors que les dieux me torturaient en m'envoyant toutes sortes de maux à la fois – maladies, tracas professionnels, problèmes d'appartement, etc. –, j'ai soudain pensé au suicide.
Et j'ai vu aussi toutes les possibilités intermédiaires, un peu comme on contemple un paysage depuis le sommet d'une montagne : le renoncement aux objectifs, la démission, le voyage dans le Sud, les vacances prolongées, l'épuisement de mes économies, l'orgie de litchies. Je pense même que si je devais vraiment me suicider, je prendrais quelques jours avant ça pour faire vraiment n'importe quoi, juste pour le plaisir de l'absurdité.
La conclusion paradoxale, c'est que voir ce paysage de possibilités se dérouler sous mes yeux, toutes ces étapes intermédiaires qui me séparaient encore, malgré tout, de l'abîme, fut drôlement réjouissant. Je prenais en réalité conscience de toutes ces contraintes que l'on s'impose à soi-même avec tant d'assiduité qu'on finit par les oublier. (Ici comme ailleurs la possibilité et la contrainte se révèlent simultanément...)C'est peut-être de ce sentiment que veut parler Heidegger l'obscur quand il évoque la « joie vigoureuse » qui naît quand on est « authentique », c'est-à-dire quand on regarde enfin la mort, cette « possibilité la plus extrême », à l'aune de laquelle seule on peut jauger toutes les autres à leur juste valeur, dans les yeux.
Le néant s'éprouve parfois douloureusement : dans l'angoisse, qui est la peur du néant ; ou dans l'ennui, qui est le déplaisir que nous cause le rien imposé, par exemple quand on attend un train ou quand on subit un cours. (A partir de là, les philosophes ont vu dans l'angoisse et l'ennui des sentiments privilégiés, métaphysiques, révélant la transcendance de l'homme, etc.)
Pourtant, le néant peut aussi s'éprouver sur le mode du plaisir. Le rien peut être un délice.
Un seul exemple : le repos. Arrêtons-nous un instant sur cette sensation. Tu rentres du boulot. Tu es crevé, puant, l'inconfort colle à ta peau. Alors tu arrives chez toi, tu jettes ton fatras, tu prends une douche, et tu te vautres dans ton canapé (ou sur ton plumard). Une délicieuse sensation t'envahit. Allongé sur le dos, tu ne fais plus rien, tu ne penses plus à rien, tu jouis simplement de ton corps et du néant.
La conclusion, c'est qu'avec cette image en tête, au lieu d'imaginer le néant comme quelque chose de noir, mauvais, terrible ou douloureux, on l'imagine alors plutôt comme un bonheur, une jouissance pure, sereine et sans soucis.
Nous pouvons même imaginer un homme qui, véritable hédoniste nihiliste, saurait jouir pleinement du néant. Il recherchait sans cesse l'inaction, et s'adonnerait alors au plaisir infini de la rêverie la plus libre qui soit. Cet idéal-type est aux antipodes de l'homme moderne qui s'agite frénétiquement en quête de divertissement (cf. Pascal)...
Van Gogh, Le Repos
Toute l'histoire humaine est commandée par le progrès scientifique et technique.
La conséquence économique de ce progrès est une augmentation de l'efficacité du travail : on peut produire les mêmes richesses avec moins de travail humain et de ressources naturelles (énergie et matières premières). La destruction de travail est donc un objectif à la fois humaniste et écologique.
Ainsi, il faut se réjouir de toute destruction d’emplois : remplacement de tisserands par des métiers à tisser, d’ouvriers par des machines, de paysans par des tracteurs, de postiers, avions, trains et voitures par des e-mails, de fonctionnaires par des ordinateurs, de caissières par des caisses automatiques, d'encyclopédies papier coûteuses par des encyclopédies en ligne gratuites, etc.
Tous les boulots doivent disparaître, à commencer par les boulots de merde. Car, n'en déplaise aux fines oreilles, il y a des boulots de merde. Que les belles âmes égalitaires qui s'inquiètent déjà d'une stigmatisation du lumpen-prolétariat se rassurent : les métiers d'en haut sont bien aussi merdiques, que ceux d'en bas quand ils ne le sont pas davantage.
Et si, demain, une nouvelle invention venait détruire un pan entier de l'économie, il faudrait s'en réjouir. C'est d'ailleurs en grande partie ce qui se passe avec internet, où on assiste à la réalisation de l'idée fondamentale du marxisme : le progrès technique entraîne un gain de productivité tel qu'une activité autrefois contrainte par le système économique bascule dans le bénévolat et la gratuité.
On dira que c'est une catastrophe ; que des milliers d'emplois seront détruits ; que des gens se retrouveront au chômage ; etc. A cela il faut répondre plusieurs choses.
D'abord, du point de vue strictement économique, le bilan de toute destruction d'emploi est nul : car ce que les hommes ne gagnent plus en tant que salaires, ils ne le paient plus en tant que consommateurs. En revanche le bilan humain est très positif, puisqu'on obtient, collectivement, les même richesses avec moins de labeur.
Ensuite, on pourrait ajouter que le chômage n'est pas si grave, surtout dans des pays où il est indemnisé comme en France. Mais l'essentiel est ailleurs : l'essentiel, c'est qu'il faut que la destruction du travail aille de pair avec le partage du travail restant.
On peut tout de même se poser la petite question suivante : vaut-il mieux maintenir des emplois peu utiles ou les supprimer carrément ? En les maintenant, on verse des salaires, qui contribuent à la consommation. Mais en les supprimant, on réalise des économies (d'autant plus que les emplois dont on discute ici ne peuvent être que des emplois publics). Par conséquent, l'argent économisé ainsi peut alléger les charges pesant sur le travail véritablement utile et stimuler celui-ci.
Ainsi, on pourrait proposer la stratégie suivante, qui a le mesure d'être très claire et concrète : supprimer radicalemement tous les emplois inutiles, réaliser des économies aussi rigoureuses que possibles dans tous les domaines, en licenciant un maximum de personnes ; et investir l'argent ainsi économisé dans des travaux utiles, qui ne manquent pas, notamment à l'époque où on prend enfin conscience de la terrible menace que l'homme fait peser sur l'équilibre de la planète. En particulier, un investissement massif dans les énergies renouvelables et la recherche qui leur est liée est urgent.
Bref, l'emploi inutile est un gaspillage absolu, sans aucune contrepartie positive. Il est donc indéfendable.
Ainsi les émeutes populaires contre le progrès technologique, avec destruction de métiers à tisser et exécution de l’inventeur, constituent le degré zéro de l’intelligence économique et de la conscience historique.
Il ne faut pas s'opposer au formidable mouvement historique du progrès, mais au contraire l'encourager, et s'attaquer au seul problème qu'il pose : la concentration du travail, ou plus exactement du pouvoir et des richesses, dans quelques mains.
Tel est le défi qui se présente à nous : parvenir à un juste partage du travail, du pouvoir et des richesses.
Une limite de la concurrence, c'est quand l'énergie dépensée à faire la course (voire à se tirer dans les pattes) ne vaut pas le gain qui en résulte.
Ainsi, la concurrence est parfois un jeu à somme négative. Par exemple, si on interdisait les publicités pour les voitures, les voitures coûteraient moins cher.
De plus, cela détruirait des emplois, ce qui est un autre avantage important.
On pourrait multiplier les exemples : en particulier, dans certains cas la concurrence effrénée pousse à harceler le consommateur (potentiel), ce qui constitue une nuisance de plus.
Le problème, c'est que toute réglementation (par exemple une interdiction de la publicité) comporte des inconvénients et des effets pervers. Le seul fait qu'elle s'oppose aux libertés individuelles paraît gênant.
Mais il ne faudrait peut-être pas confondre trop vite la liberté des entreprises avec la liberté des individus : car dans la mesure où les entreprises sont des institutions qui fonctionnent sous contrainte, leurs objectifs ne correspondent pas nécessairement à ceux des individus, c'est-à-dire aux objectifs politiques et à l'intérêt général...
Par ailleurs il ne faut pas perdre de vue que la publicité, le marketing et les métiers de commerciaux (et commerçants) en général, en dépit de leur air improductif, apportent une contribution positive à une économie : ils informent les agents économiques et réalisent un véritable travail d'organisation par la mise en relation de l'offre et de la demande. La valeur sociale de cette optimisation de l'affectation des ressources est très importante, et sans doute assez bien représentée par les bénéfices qu'en tirent ces intermédiaires.
France Inter se surpasse et devient la deuxième radio nationale derrière RTL.
Nicolas Sarkozy remanie la direction de France Inter en y appointant Philippe Val.
On ne change pas une équipe qui gagne...
Pour fêter la fin de l'année, voici une dernière pensée pour les vacances. C'est une amusante « illusion statistique » (à ranger dans la catégorie des paradoxes et illusions logiques).
C'est un jeu à la télé américaine. Il y a trois portes ; derrière deux de ces portes, une chèvre ; derrière la troisième porte, une voiture. Le candidat doit choisir la bonne porte pour gagner la voiture. La foule hurle dans son dos tandis qu'il essaie de se décider. Finalement il choisit une porte et la montre au présentateur.
Mais celui-ci, au lieu de l'ouvrir, change soudain d'avis et ouvre une autre porte, d'où sort une pauvre petite chèvre. Puis, beau joueur, il se tourne vers le candidat stupéfait et lui dit : Allez, je suis beau joueur, vous pouvez changer d'avis si vous voulez. Que doit faire le candidat ?
Réfléchissez deux minutes avant de lire la solution !
Bon, voici la solution :
Si le candidat ne change pas d'avis, tout se passe comme s'il avait joué normalement. Il a donc une chance sur trois de gagner. Par conséquent, s'il change d'avis il aura deux chances sur trois de gagner, puisque c'est la seule autre possibilité. Enfin, s'il tire à pile ou face il aura une chance sur deux de gagner. Il faut donc changer systématiquement d'avis.
Ca vous étonne ? Moi aussi. Il y a quand même une manière de rendre cela intuitif : s'il ne change pas d'avis il n'utilise pas l'information donnée par le présentateur, qui nous apprend que telle porte ne renferme pas la voiture.
Ce n'est toujours pas clair ? Bon, il y a encore une manière de le comprendre : imaginons la même situation avec des millions de possibilités au lieu de trois. Par exemple imaginons que le candidat joue au loto. Il choisit un numéro. Puis le présentateur élimine tous les autres numéros sauf un. On comprend alors bien qu'il vaut mieux changer d'avis et jouer le numéro que le présentateur n'a pas éliminé !
J'ai trouvé cette énigme dans le livre de Gilles Pagès En passant par hasard que vous pouvez consulter (et acheter) sur cette page.
Bonnes vacances...
Quand les animaux se battent entre eux (pour de la nourriture, pour une femelle par exemple), il est très rare que le conflit aille jusqu'à la mort. Le conflit lui-même est d'ailleurs très rare, car il est bien souvent évité grâce à un rituel consistant à montrer sa force pour ne pas avoir à l'utiliser.
Finalement, dans la nature tout se passe comme s'il n'y avait conflit qu'en cas d'incertitude, quand on ignore lequel des deux est le plus fort. Quand c'est assez évident, un rapport de domination s'instaure (le faible se soumet au fort : il lui laisse la priorité pour la nourriture ou la femelle) et on en reste là.
La situation est d'ailleurs sensiblement identique dans les affaires humaines : par exemple, pour qu'une guerre soit déclarée il faut que les forces en présence soient sensiblement équivalentes.
Finalement, on arrive ici sur l'idée que la violence naît de l'égalité. Avec la tendance historique à l'égalisation des conditions, il faudrait donc s'attendre à une explosion de la violence plutôt qu'à sa diminution.
Eternel débat sur le voile, éternelle hypocrisie française :
On prétend vouloir (comme ça, d'un coup) « protéger » les pauvres femmes musulmanes oppressées par leur mari.
Bon. Et si on laissait un peu les gens vivre ? Jusqu'où ira le pouvoir dans le règlement de nos vies ?
Le fond de l'affaire est aussi simple qu'inavoué : en France, on n'aime pas trop la religion en général et l'islam en particulier.
Ces polémiques et les éventuelles lois qui en découlent sont l'expression de l'intolérance française sous sa forme la plus détestable (c'est ce qu'on appelle, en langage politiquement correct, l'« intégration », ce fameux concept qui ne veut rien dire du tout, et qui se traduit par une politique qui entraîne l'exact opposé de ce qui est visé sous ce mot).
Lutter contre l'oppression de la femme, évidemment, nous sommes tous d'accord pour ce bel objectif. Mais est-ce vraiment le moyen d'y parvenir ? L'interdiction du voile à l'école a simplement mené à la création d'écoles musulmanes et à un sentiment de rejet. (Encore un bel exemple d'intégration !)
Allez voir un Américain ou un Anglais et essayez de lui expliquer au nom de quoi, diable, on interdit le voile ou la burqa.
Dans ce genre de cas on a honte d'« être français » (pour autant que cette expression ait un sens) face aux peuples et cultures qui se sentent incompris ou rejetés.
Il est singulier que tout cela arrive dans le pays de Voltaire. Mais précisément : il faut comprendre qu'ici comme ailleurs les grandes expressions idéologiques naissent dans des pays où règnent les conditions inverses : les Pays-Bas ont eu Spinoza pour défendre la liberté d'expression à l'époque où cette liberté y était extrêmement menacée ; la France a eu Voltaire pour la tolérance et Montesquieu pour la séparation des pouvoirs, car ce sont deux choses dont les Français ont toujours été strictement incapables.
Une grande énigme en philosophie est de savoir pourquoi le monde est intelligible.
C'est cette question qui a mené à l'idéalisme, au spiritualisme, au dualisme, aux philosophies de Platon, Descartes, Spinoza, Kant, Hegel, etc. Toutes ces philosophies étaient fortement influencées par le modèle des mathématiques : les mathématiques, science mystérieuse qui semble révéler une profonde concordance entre le monde spirituel et le monde matériel.
Mais au XIXe siècle une crise intellectuelle majeure est venue bouleverser la donne : la crise des mathématiques. Dans un premier temps, on découvrit l'existence de géométries non euclidiennes. Premier choc. D'autres mondes sont concevables. Qu'est-ce qui prouve alors que notre géométrie classique, la géométrie euclidienne, est la bonne, la vraie ? Dans un deuxième temps, la théorie de la relativité postule justement que la géométrie de notre univers n'est pas euclidienne. Crise majeure : toutes les mathématiques classiques sont fausses, au sens où elles ne correspondent pas au monde, à notre monde.
Conséquences philosophiques : tout cela a ébranlé l'idée qu'il y ait des « jugements synthétiques a priori » (Kant), c'est-à-dire des connaissances innées, des « semences de vérité » mises en nous par Dieu (Descartes) et connues de notre âme par une mystérieuse « réminiscence » (Platon). On aboutit au schéma suivant : on a d'un côté la logique, seule connaissance a priori mais absolument creuse, les lois logiques consistant simplement à reformuler ce que l'on sait déjà : la logique ne nous apprend rien sur le monde. Et de l'autre côté, les sciences naturelles qui reposent sur l'expérience. De sorte que toute véritable connaissance provient de l'expérience. Le cas des mathématiques lui-même devient particulièrement clair : par la logique, on peut construire plusieurs systèmes formels (par exemple plusieurs géométries) ; c'est ensuite l'expérience qui nous permet de savoir lequel de ces systèmes correspond au monde (et ce n'était qu'un préjugé physiologique que de croire a priori que la géométrie euclidienne était « la vraie »).
Tirons les conclusions de cette révolution jusqu'au bout : si la question de savoir par quelle magie le monde est intelligible est résolue, c'est parce qu'on se rend finalement compte de ceci :
Le monde n'est pas intelligible.
C'était une illusion de croire qu'il l'était. Rien dans le monde n'est compréhensible à proprement parler. Un caillou, d'ailleurs, n'est pas « compréhensible ». On peut seulement le décrire.
N.B. : Pour faire bonne mesure, j'essaierai de démontrer une prochaine fois que l'homme ne pense pas.
Allez, une petite réflexion liée au sujet du bac des séries techniques : « La technique s'oppose-t-elle à la nature ? » (Un sujet très intéressant, à la réflexion...)
Voilà, c'est au sujet de tous ces produits, par exemple un pack de rouleaux de P.C. (que certains appellent P.Q.), qui trônent sur les rayons des supermarchés, et sur lesquels on peut lire, en grosses lettres vertes :
Protège l'environnement
Voilà bien une phrase de publicitaire. Et même un mensonge publicitaire.
Car la vérité, c'est que ces rouleaux de P.Q. ne protègent pas du tout l'environnement. Au contraire ! La seule chose honnête qu'on pourrait écrire, à la rigueur, c'est ceci :
Produit nuisible à l'environnement,
mais un peu moins que la moyenne
Et on pourrait même ajouter :
Si tout le monde achetait cet article plutôt que celui de la concurrence, nous courrions quand même à la catastrophe, mais un tout petit peu moins vite
Evidemment, ça n'est pas très vendeur...
Pour en revenir au bac, en corrigeant les copies on se rend compte que beaucoup pensent que le fait que certaines technologies permettent de polluer un tout petit peu moins permet aussitôt de dire que la technique ne s'oppose pas à la nature, voire que c'est la technique qui permet à la nature d'exister. Doucement, les amis...
Il est un processus que l'on retrouve sous de multiples formes : concentrer le mal sur un objet, puis détruire cet objet.
Ainsi le chamane, au cours d'une véritable mise en scène de prestidigitateur avec son et lumière, extrait un petit objet du corps du malade, un fétiche, une imitation d'araignée, etc., qu'il détruit de façon spectaculaire sous les yeux du patient. Celui-ci guérit alors miraculeusement (quand la thérapie fonctionne), par effet placebo en quelque sorte.
Le processus est le même dans le cas de Jésus, ce sacrifice inversé (non pas un bien terrestre donné au dieu, mais un bien divin donné aux hommes) : Jésus a pris la faute de l'humanité entière sur lui, puis il a été mis à mort.
Enfin, c'est encore le même fonctionnement dans la recherche de boucs émissaires : le nazisme, par exemple, impute aux Juifs la responsabilité de tous les maux des Allemands, puis les extermine...
Lugubre processus... Il signifie d'abord le besoin, fondamental, de donner un objet à la cruauté, à l'instinct de vengeance. Plus subtilement, René Girard y voit le moyen de mettre fin à la rivalité des désirs mimétiques...
En Hébreux, le même mot signifie aimer et connaître.
Si les hommes avaient le pouvoir sexuel et qu'ils en abusaient, comme le font les femmes, celles-ci seraient également plein de haine envers eux